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Il peut être tentant de penser que lorsque nous ingérons 1 g de lipide provenant du fromage, cela est pareil que si nous consommions 1 g de lipide provenant du beurre par exemple. Sur le papier, d’un point de vue énergétique, les deux devraient apporter 9 kcal d’énergie au corps.
À l’appui du décryptage d’étude(1) qui va suivre, nous verrons qu’en réalité, il existe des différences selon que les aliments soient consommés sous forme complète (complexe ou élaboré) ou isolée (séparément).
En effet, les nutriments (protéines, lipides, glucides, vitamines, oligo-éléments) des aliments ne vivent pas leur vie chacun de leur côté, mais interagissent entre eux. C’est ce que l’on appelle la matrice alimentaire : une interaction qui peut modifier l’effet de la nourriture que nous mangeons.
Qui et quoi a-t-il été étudié ?
L’étude était un essai contrôlé randomisé impliquant 203 adultes vivant à Dublin, en Irlande. Tous étaient en surpoids et âgés de plus de 50 ans (60 ans en moyenne), mais étaient par ailleurs en bonne santé. Les participants ont été répartis au hasard dans l’un des 4 groupes de régime alimentaire suivant pour une expérience de 6 semaines :
- 120 grammes de cheddar “entier”.
- 120 grammes de fromage cheddar allégé + 21 grammes de beurre.
- 49 grammes de beurre + 30 grammes de caséinate de calcium + un complément de carbonate de calcium.
- 120 grammes de cheddar gras (comme le groupe 1) avec une période de 6 semaines avant l’expérience au cours de laquelle tous les fromages ont été retirés de l’alimentation.
Comme vous pouvez le voir dans la répartition des groupes, cette étude a examiné les effets des ingrédients séparés du fromage (groupe 3), contenus en partie assemblés (groupe 2) ou complètement assemblés en fromage (groupes 1 et 4).
Les quatre groupes ont été harmonisés le plus rigoureusement possible en ce qui concerne les calories (480-520 kcal), les protéines (27-30 grammes), les matières grasses (39-43 grammes) et le calcium (817-900 milligrammes). L’objectif du groupe 4 était de déterminer les effets de l’élimination puis de la réintroduction du fromage.
Il a été demandé aux participants de ne pas faire fondre ou chauffer le fromage et de limiter leur consommation de lait à 50 ml par jour. En dehors de ça, les participants n’ont reçu aucune autre directive diététique et ont été priés de respecter les règles nutritionnelles fixées. Les participants ont tenu un carnet alimentaire dans lequel ils consignaient la quantité exacte des aliments étudiés qu’ils consommaient chaque jour, et ceux qui avaient suivi les recommandations à plus de 80 % au cours de l’intervention étaient jugés conformes.
Le principal paramètre évalué dans cette étude était la variation du taux de LDL entre les groupes. Les paramètres secondaires étudiés étaient d’autres paramètres lipidiques comme le cholestérol total, le HDL, les triglycérides, mais aussi le glucose sanguin et l’insuline, la protéine C-réactive (CRP), la pression artérielle, le poids des participants, le pourcentage de graisse corporelle et le tour de taille.
Il est important de noter que cette étude peut avoir manqué de puissance statistique en raison des taux d’abandon élevés. En effet, les chercheurs avaient besoin de 45 participants par groupe (180 au total) pour détecter une différence de 20 % de LDL entre les groupes 1 (tous les fromages) et 3 (tous les composants du fromage pris séparément). Cependant, seuls 164 participants ont terminé l’expérience, dont 127 seulement ont été jugés conformes. Cela signifie simplement que cette étude ne pouvait déceler que de grandes différences de LDL, et que des changements plus faibles pouvaient ne pas être statistiquement significatifs.
Quels ont été les résultats de cette étude ?
Comme vous pouvez le voir dans le graphique ci-dessous, des différences significatives ont été observées entre les groupes concernant le taux de LDL, qui a diminué dans une plus large proportion dans le groupe fromage “entier” (-13 %) par rapport au groupe fromage allégé (-7 %), au groupe des ingrédients pris individuellement (-3,9 %) et au groupe ayant suivi une période de rodage (-2,1 %). Des observations similaires ont été faites pour le cholestérol total, mais aucune différence significative n’a été observée pour les autres paramètres.
Que nous dit vraiment cette étude ?
Cette étude confirme que la matrice alimentaire influence les apports en nutriments. Elle complète la littérature existante en étant la première à comparer les ingrédients isolés d’un aliment à leurs formes assemblées complètement ou partiellement.
Plus précisément, l’étude analysée révèle que la consommation de fromage entier a un effet bénéfique supérieur sur les taux de lipides sanguins par rapport à ses constituants pris séparément (beurre, caséine et calcium). En outre, la consommation de fromage allégé avec du beurre se situait entre les autres, ce qui suggère que la présence d’une matrice alimentaire minimale peut avoir certains avantages, même si certains nutriments sont partiellement retirés.
Il est intéressant de relever que tous les groupes ont connu des réductions de LDL (y compris les 2 groupes consommant du beurre de façon isolée), alors que les études antérieures ont systématiquement trouvé que le beurre augmentait le LDL.
Ces résultats ne sont pas contradictoires, étant donné que les personnes qui ont consommé du beurre ont également pris des suppléments de caséine et de calcium, et non pas uniquement du beurre comme dans d’autres recherches. Ainsi, le calcium et les protéines ont pu contribuer à réduire la quantité de graisse du beurre absorbée. Cela corrobore des recherches antérieures(2) ayant montré qu’un apport élevé en calcium atténuait les augmentations du LDL induites par les graisses saturées grâce à la capacité du calcium à altérer l’absorption des graisses.
Malheureusement, il y a plusieurs limites que nous devons garder à l’esprit en analysant cette étude. La première étant que la taille de l’échantillon était bien inférieure à ce qui était jugé nécessaire pour détecter une différence entre les groupes pour le LDL. Même si des différences statistiques ont été observées, il est probable que les résultats aient été biaisés en raison des taux élevés d’abandon et de non-conformité constatés presque exclusivement dans les groupes recevant du fromage et le groupe de rodage.
Cependant, le but de cette étude était d’étudier un mécanisme plutôt que l’efficacité d’un changement de régime alimentaire. Il était donc nécessaire de s’assurer que l’analyse soit limitée aux seuls participants qui se conformaient aux règles afin de garantir que les effets des interventions soient correctement traduits.
Mettons les choses à plat
Cette étude enrichit les publications de plus en plus nombreuses qui suggèrent que, lorsqu’il s’agit des macronutriments que nous consommons, le contexte est important.
Les données disponibles ne cessent de montrer que les différentes formes de produits laitiers ont des effets différents sur les lipides sanguins. Une méta-analyse(3) de cinq essais contrôlés randomisés comparant les effets du fromage et du beurre a montré que la consommation de fromage réduisait le LDL de 6,5 % et augmentait le HDL de 3,9 %.
Une étude plus récente(4) comparant les effets de la consommation de fromage entier à ceux du fromage allégé n’a révélé aucune différence au niveau des lipides sanguins entre les deux, malgré une consommation de calories et de graisses saturées significativement plus importantes avec le fromage entier.
Il y a plusieurs explications possibles à cela. Des études antérieures ont montré que la nature chimique des graisses(5) affecte le métabolisme des graisses après un repas.
Une autre explication est que la membrane des globules gras du lait(6) (MFGM, de l’anglais milk-fat globule membrane), une membrane à trois couches composée de protéines, de lipides et de nombreux stérols bioactifs, emprisonne les globules gras du lait. Cette membrane est un composé fragile qui est conservé dans la crème et le fromage, mais qui est détruit lors de transformations mécaniques, notamment le barattage nécessaire à la fabrication du beurre ou l’homogénéisation du lait(7).
Il a également été suggéré que cette membrane présente de nombreux avantages pour la santé, notamment des effets hypocholestérolémiants(8). Par exemple, des rats nourris avec un régime riche en graisses et complétés par des phospholipides MFGM(9) présentent une augmentation de 15 à 30 % de l’excrétion de cholestérol fécal et une diminution de 20 à 60 % du cholestérol hépatique. Par ailleurs, les rats qui ont une alimentation riche en matières grasses complétée par du lait riche en MFGM présentent une réduction de l’accumulation de graisses dans le foie et des taux de lipides sanguins, conséquence d’une réduction significative de l’expression des gènes hépatiques(10) qui régulent la synthèse du cholestérol (HMG-CoA réductase), la synthèse des acides biliaires (cholestérol 7α-hydroxylase) et la synthèse des acides gras.
L’importance des choix alimentaires, indépendamment des nutriments qu’ils contiennent, est confirmée par un essai clinique randomisé(11). Cette dernière a comparé les effets sur la santé de deux régimes alimentaires : “le régime paléo” ou celui préconisé par l’Association américaine du diabète (ADA).
Comme le montre le graphique ci-dessous, le régime paléo a obtenu de meilleurs résultats que le régime ADA dans presque tous les domaines d’intérêt, y compris la sensibilité à l’insuline, le contrôle de la glycémie et les lipides sanguins, bien que les deux groupes aient consommé le même nombre de calories : 20% de protéines, 25% de graisses et 55% de glucides. La principale différence entre les deux régimes était les sources de glucides. Le régime paléolithique reposait exclusivement sur les glucides des tubercules, des fruits et du miel, tandis que le régime ADA utilisait des céréales, des légumineuses et des fruits.
Il devient donc évident de commencer à s’éloigner du nutritionnisme, le concept selon lequel l’alimentation est une combinaison de nutriments, et à évoluer vers le concept de synergie alimentaire comme une manière appropriée de relier les aliments et les habitudes alimentaires à la santé.
FAQ
Les études sur la matrice alimentaire portent principalement sur les produits laitiers, mais qu’en est-il des autres aliments ?
Les noix sont un bon exemple pour répondre à cette question. Ces dernières fournissent environ 21 % de calories en moins au corps par rapport à ce qu’elles renferment. Les amandes, environ 24% de moins. Les pistaches, environ 5 % de moins. Il s’avère que les noix contiennent une paroi cellulaire végétale qui entoure les lipides, les rendant ainsi difficiles à digérer et à absorber, comme le montre le schéma ci-dessous. Ainsi, une moindre mastication signifie des parois cellulaires moins endommagées, ce qui limite les capacités de digestion.
Vous l’aurez compris, des amandes en poudres feront par exemple davantage grossir que la consommation d’amandes entières, à grammage et calories égales. Même logique pour les calories disponibles dans les beurres de noix par rapport à celles des noix entières…
Naturellement, la consommation de cacahuètes entières entraîne une plus grande excrétion de graisses fécales et de calories(12) par rapport à la consommation de beurre de cacahuètes, d’huile de cacahuètes ou de farine de cacahuètes.
Dans le même ordre d’idées, la cuisson des cacahuètes augmente considérablement la disponibilité énergétique(13) par rapport à leur consommation à l’état cru, en raison de l’altération de l’intégrité des parois cellulaires qui, autrement, protègent les lipides des enzymes digestives.
On peut appliquer cette logique aux plats préparés industriels qui utilisent majoritairement des ingrédients ultra-transformés et donc beaucoup plus enclins à faire prendre du poids (sans parler de la satiété).
À savoir que de façon générale, la cuisson modifie les matrices alimentaires en augmentant la disponibilité des calories. Par exemple, une série d’expériences(14) portant sur les effets de la transformation des aliments en matière de disponibilité énergétique a montré que la cuisson de la viande et des tubercules augmente les calories que l’on peut en extraire par rapport aux versions crues. Et même lorsque la viande et les tubercules étaient hachés (donc “pré-mâchés” si vous voulez), leur consommation à l’état cru apportait un petit avantage par rapport à la version crue et intacte.
Ce qu’il faut retenir
Jusqu’à présent, de nombreuses études ont montré que la matrice alimentaire joue un rôle dans la façon dont un nutriment peut avoir un impact sur notre santé. Ce qui n’était pas tout à fait clair, c’était de savoir si cela était dû à la présence d’autres nutriments dans l’alimentation, ou à la matrice alimentaire à proprement parler (dans laquelle le nutriment est intégré).
L’étude analysée a permis de combler cette lacune en comparant les effets des différents constituants du fromage (beurre + poudre de protéine de caséine + un complément de calcium), contenus partiellement (fromage allégé + beurre) ou intégralement (fromage entier).
Les résultats ont montré que les taux de lipides sanguins étaient meilleurs avec le fromage entier, suivi du fromage allégé et enfin des constituants du fromage isolés, ce qui suggère que les effets des macronutriments et des calories sur la santé dépendent en partie de la matrice alimentaire dans laquelle ils sont incorporés.
Moralité : la nutrition est une science complexe, et la démarche de perte de poids ne se résume pas en une simple addition de calories ingérées que l’on aura calculé sur MyFitnessPal ou FatSecret.
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Sources éditoriales et fact-checking