Notre digestion est due à 90% au monde microbien qui colonise notre muqueuse intestinale. Mais comme notre alimentation est aujourd’hui très riche en gluten provenant du pain, des pâtisseries ou des préparations industrielles de toutes sortes, intéressons-nous à la façon dont nos bactéries interagissent avec le gluten que nous ingérons au quotidien.
Blé et gluten
Le blé est un terme générique qui comprend diverses espèces du genre Triticum, dont certaines ont été créées en laboratoire et présentent des caractéristiques génétiques complètement différentes. D’autres différences sont dues à l’adaptation de la plante à son environnement ou à des mutations génétiques spontanées.
Le blé ancestral (ou petit épeautre sauvage) a évolué par croisement avec d’autres plantes (hybridation) pour devenir le petit épeautre, premier blé “cultivé” de l’humanité.
Ces variétés originales de blé à 14 chromosomes (blé diploïde), aux rendements faibles et à la faible teneur en gluten (environ la moitié de celle du blé moderne), n’étaient pas adaptées à la fabrication du pain. Plus tard, des croisements naturels ont été réalisés, donnant naissance à un blé tétraploïde à 28 chromosomes. Il contenait plus de gluten et pouvait être utilisé pour la fabrication du pain, notamment à l’époque égyptienne.
Les sélections élaborées ensuite par les ingénieurs agronomes ont donné naissance à plusieurs types de variétés jusqu’à une troisième catégorie de blé appelée hexaploïde avec 42 chromosomes.
Les variétés de blé actuelles sont régulièrement croisées et modifiées pour obtenir des sujets plus productifs au moyen de rétrocroisements avec transfert de gènes, dont les conséquences sur la synthèse des protéines du blé n’ont pas été totalement décryptées.
Le gluten est en réalité un terme générique désignant plusieurs variétés de protéines insolubles dans l’eau, par opposition aux autres protéines solubles de la plante de blé qui servent à ses fonctions physiologiques. Les protéines insolubles du gluten sont simplement des protéines de stockage dans la graine de la plante qui les utilisera comme énergie pour sa germination en temps utile. Ces protéines insolubles (l’insolubilité permet une longue conservation) sont contenues dans la graine de blé sous la forme compactée de gliadine, gluténine et prolamines. Ces trois protéines sont riches en acides aminés, glutamine, proline et leucine, les résidus soufrés étant apportés par les cystéines.
Cette classification des protéines composant le gluten est basée sur le degré de polymérisation des chaînes de ces protéines (les chaînes compactées ressemblent physiquement à un écheveau de fils serrés les uns contre les autres) et sur la teneur en acides aminés soufrés de ces protéines insolubles. On distingue d’abord les gliadines, qui forment la famille des prolamines, puis les sous-unités qui forment les gluténines.
Ainsi, par ordre décroissant, on trouve :
- Le gluten du blé (gliadine, 69%) ;
- L’épeautre (gliadine, 69%) ;
- Le Kamut (gliadine, 69%)
- L’orge (hordéine ou hordénine, 52%) ;
- Le sorgho (kafirine ou cafirine, 52%) ;
- Le seigle (secalin, 50%) ;
- Le maïs (zenin ou zein, 50%) ;
- Le millet (panicin, 40%) ;
- L’avoine (avenin, 30%) ;
- Le riz (orzenin, 5%).
L’hybridation du blé, selon divers spécialistes, a des effets sur la digestibilité en raison de leurs épitopes (c’est-à-dire la séquence particulière d’acides aminés qui composent la protéine gliadine) qui, lorsqu’ils sont démasqués par le système immunitaire, sont à l’origine de réactions allergiques et d’intolérances.
L’arrivée des OGM en 1994 a alerté les autorités sanitaires avec une directive axée sur leur évaluation ; toute innovation dans la production et la transformation d’aliments hybrides notamment devrait également donner lieu à une évaluation du risque sanitaire sur l’homme, ce qui n’est malheureusement pas fait de manière exhaustive (on a tendance à raccourcir les expériences au strict minimum, ce qui a pour effet de biaiser les interprétations scientifiques). En effet, l’évolution de notre génétique, inchangée depuis Cro-Magnon, n’est pas allée aussi vite que les ingénieurs de l’industrie alimentaire !
(In)digestibilité du gluten
Les industriels voulaient une farine qui puisse gonfler pour un calibrage facile de la fabrication industrielle du pain, mais surtout pour l’aspect esthétique important pour sa vente. Par modification génétique de la céréale de blé (OGM), ils ont pu obtenir l’ajout souhaité de gluten que l’on retrouve dans tous les pains modernes.
Ce faisant, les généticiens de l’industrie agroalimentaire ont produit, sans le savoir, une structure de gliadine (la principale protéine du blé) différente de celle du blé ancien, qui s’est avérée totalement inadaptée à nos capacités enzymatiques pour décomposer correctement cette nouvelle structure protéique lors de la digestion. Il est important de noter ici que la nouvelle protéine gliadine, encore plus riche en répétitions successives des acides aminés glutamine et proline, est un véritable “casse-tête” pour nos enzymes digestives, notamment au niveau de l’estomac. La pepsine, qui provient de l’activation du pepsinogène, une enzyme capable de découper les protéines en peptides (petits morceaux de protéines), n’est plus capable de découper correctement la gliadine qui, résistante à son action, va poursuivre son cheminement le long du tube digestif.
Dans le duodénum, les enzymes pancréatiques (les protéases), enzymes de découpage, ne peuvent pas non plus assurer le découpage complet du gluten lors du processus de digestion, en raison de leur manque de spécificité, laissant des peptides potentiellement nuisibles stagner dans l’intestin. La gliadine non complètement “digérée” arrive donc presque intacte dans l’intestin grêle, et ses capacités inflammatoires, ajoutées au facteur environnemental par la présence éventuelle de xénobiotiques comme le mercure, vont accentuer le processus pathologique.
La muqueuse de l’intestin, composée de villosités et de microvillosités, est un filtre sélectif des nutriments. L’intégrité de ces microvillosités dépend des jonctions serrées constituées de collagène. Aujourd’hui, le taux de mercure dans l’organisme est devenu préoccupant, car il a été introduit par les amalgames dentaires, les vaccinations répétitives et les cosmétiques. Ce mercure présent dans l’organisme active de manière irréversible une enzyme telle que la métalloprotéinase matricielle MMP-9, qui dégrade le collagène des jonctions serrées des microvillosités. Cela entraîne la perte de la structure de compartimentation de nos villosités intestinales intactes et notre intestin devient poreux. Cette perméabilité intestinale, due à l’action du mercure, va permettre à ces peptides qui stagnent dans l’intestin de traverser la barrière intestinale pour passer dans le sang.
Les travaux du professeur Karl L. Reichelt ont montré que les peptides dérivés de la gliadine qui ne sont pas complètement dégradés par nos enzymes digestives libèrent des peptides dits opioïdes (aux propriétés identiques aux opiacés comme l’opium) qui passent la barrière intestinale et la barrière hémato-encéphalique. On retrouve les peptides HK1-HK2, P1, P2, A4, A5, la diamorphine et bien d’autres qui créent des symptômes tels que l’hyperactivité, la dyslexie, les problèmes d’apprentissage, l’autisme, la schizophrénie. Une molécule de gluten contient 16 séquences de peptides opioïdes. Nos enzymes défaillantes ne devraient donc pas faire d’erreur de découpage si, en plus, nous avons un intestin perméable. Le blé germé contient aussi les mêmes molécules et les mêmes séquences.
Impact sur notre flore intestinale
Avec ces nouvelles farines, plus de pain au levain possible ! Pourquoi ?
Les farines actuelles se prêtent au développement de bactéries déviantes. En effet, les lactobacilles, lactocoques, Saccharomyces cerevisiae, qui constituaient la base des levains naturels, ne reconnaissent plus leur substrat chimiquement modifié supporté par un aliment industrialisé. Résultat, on observe un blocage de ces bactéries bénéfiques, les Saccharomyces s’effondrent et on se retrouve dans des boulangeries avec des déviations vers des levures comme Candida kluyveromyces, qui sécrète des molécules comparables à celles que l’on trouve dans les hydrocarbures comme le méthane… puis un développement des entérocoques (bactéries pathogènes opportunistes) en quantités phénoménales ! Et les lactocoques, qui ont participé à la fermentation, se développent en quantité anormale, ce qui donne une mie filandreuse avec un pain gélatineux, totalement impropre à la consommation, bien sûr ! Enfin, les bactéries opportunistes s’adaptent au nouveau substrat qui leur est fourni, mais pas à notre avantage, car elles produisent, par sécrétion, des substances toxiques comme l’indican et son dérivé l’indolyl-acryl-glycine, des polyphénols, benzoates de phényle et des propionates de phényle.
Aujourd’hui, nous trouvons dans notre alimentation de moins en moins d’éléments nécessaires à l’établissement d’un bon microbiote intestinal. Dans une flore commensale, c’est-à-dire symbiotique, qui contribue à notre bien-être, lactobacilles et lactocoques assurent un processus naturel de fermentation lactique qui stabilise nos aliments mais surtout les rend assimilables par notre intestin. Nos enzymes digestives apprécient ces nutriments naturellement lacto-fermentés, alors qu’elles ne savent presque rien faire des nutriments transformés chimiquement par l’industrie alimentaire. En ce sens, l’alimentation moderne nous affaiblit au lieu de nous renforcer.
Où l’on reparle de la perméabilité intestinale
L’homme a créé, en quelque sorte, l’environnement pour se faire malmener.
Il ne s’agit pas de faire peur, mais de comprendre à quel point les intestins sont un organe central de notre santé. Réduire le gluten dans notre alimentation en général, protéger et enrichir notre microbiote (plus communément appelé flore intestinale) sont des préoccupations saines et permettent de prévenir de nombreux troubles. Nous ne sommes pas tous égaux et certains sont plus sensibles que d’autres. Le pain était historiquement un aliment de base de l’alimentation de la classe ouvrière, pourrait-on rappeler. De plus, l’absorption du gluten ne tue pas, elle perturbe notre équilibre via l’intestin, y compris émotionnel.
Faut-il éviter le gluten pour être en bonne santé, et surtout faut-il l’éliminer en cas de maladies auto-immunes ? La gliadine contenue dans le gluten augmente l’irritabilité et la perméabilité intestinale chez tous les individus fragiles, qu’ils soient intolérants au gluten ou non. La perméabilité intestinale est un facteur clé dans le déclenchement de réactions inflammatoires et de maladies auto-immunes, car elle favorise le passage anormal de fragments de protéines ou d’antigènes du tube digestif vers l’organisme, ce qui peut provoquer une réponse du système immunitaire.
Comme nous l’avons vu, le gluten est présent dans le blé, l’orge, le seigle, le maïs, le millet, le sorgho et l’avoine, certains à un degré beaucoup plus faible ; cependant, à ce stade, il existe encore certaines homologies dans les séquences des composants de la gliadine qui, pour les personnes sensibles, peuvent provoquer une inflammation.
La gliadine est une protéine immunogène du gluten. Certaines personnes sont intolérantes au gluten et doivent l’éviter. D’autres y sont sensibles et présentent des symptômes qui peuvent ressembler à ceux d’une intolérance. Le régime sans gluten permet de faire disparaître ces symptômes. Même une très petite quantité de gluten sera suffisante pour que les personnes atteintes de maladies intestinales déclenchent une réaction supplémentaire endommageant les parois de l’intestin grêle et provoquant parfois des symptômes gastro-intestinaux douloureux ou des troubles à distance (douleurs articulaires, musculaires, maux de tête…) sans que le lien avec le gluten soit nécessairement établi.
Selon de nouvelles recherches(1) de l’Université McMaster (Canada), lorsque les bactéries de l’intestin grêle d’une personne atteinte de pathologies intestinales interagissent avec le gluten, elles peuvent déclencher une réaction différente de celle d’une personne non malade. Dans cette étude, les chercheurs ont identifié des espèces bactériennes capables de dégrader le gluten dans l’intestin grêle. Ainsi, ils ont isolé la bactérie pathogène Pseudomonas aeruginosa chez des “patients malades” (retrouvée uniquement dans leurs intestins), et des espèces du genre Lactobacillus dans l’intestin grêle d’individus sains. Au contact du gluten, les bactéries examinées ont produit des peptides. Sachant que chaque peptide communique différemment avec les cellules immunitaires (ceux qui provoquent une réponse immunitaire plus forte sont dits plus “immunogènes”), ils ont observé que les peptides produits par Pseudomonas aeruginosa provenant de patients souffrant de la maladie cœliaque (inflammation de l’intestin causée par la gliadine) étaient plus immunogènes (ils activaient les cellules immunitaires spécifiques du gluten). En revanche, les Lactobacillus provenant de personnes en bonne santé étaient capables de détruire ces peptides et donc de réduire la réponse immunitaire. Des bactéries spécifiques dans l’intestin grêle pourraient donc augmenter ou diminuer les réactions immunitaires déclenchées par la digestion du gluten.
Selon ces scientifiques, ces recherches mettent en évidence les liens entre les bactéries intestinales et le système immunitaire dans le métabolisme du gluten. En effet, elles mettent en évidence le rôle des bactéries dans la réponse de l’organisme au gluten et sont cohérentes avec l’idée qu’une dysbiose bactérienne serait un élément fondamental de diverses pathologies, même si les bactéries étudiées ne sont peut-être pas les seules à modifier la digestion du gluten.
Une autre protéine, la zonuline, une hormone synthétisée par la muqueuse intestinale qui influence la perméabilité de l’intestin grêle, est une cible privilégiée des toxines bactériennes. Des études(2) ont montré que l’aliment qui provoque la plus forte production de zonuline est le blé moderne.
La caséine (80 % des protéines du lait et des produits laitiers) perturbe également la production de zonuline et augmente directement notre perméabilité intestinale. Comme pour le gluten, la structure de la caséine du lait moderne est non conforme en raison d’une alimentation inappropriée du bétail (ajouts de protéines animales et/ou de céréales transgéniques), ce qui entraîne les mêmes conséquences pour la santé de l’homme.
Le microbiote : un travailleur infatigable
Il est essentiel de protéger notre microbiote pour qu’il nous protège à son tour : cet allié dévoué et courageux est notre meilleur gardien. Mais il ne faut surtout pas le détériorer. Il nous défend contre les maladies. Il nous protège contre les toxines et les métaux lourds. Il nous donne une meilleure santé physique et morale, car il favorise la création de sérotonine (un neurotransmetteur).
Il synthétise diverses vitamines. Ce sont les bactéries qui savent produire la vitamine K, la vitamine B12, la thiamine (vitamine B1) et la riboflavine (vitamine B2). Ces différentes vitamines nous donnent la possibilité de transformer les chaînes d’acides gras en acides gras essentiels.
Aujourd’hui, nous savons que notre microbiote est un organe à part entière qui travaille sans relâche. Il a juste besoin d’une bonne alimentation, authentique, et de respect. Il peut alors fournir une myriade de bénéfices pour notre santé, tandis qu’une mauvaise flore intestinale peut affecter notre moral, affaiblir notre système immunitaire, notre capacité à résister au stress ou la qualité de notre sommeil.
Lorsque nos microbes vont mal, c’est tout notre corps qui va mal !
Le secret : une bonne alimentation
C’est au nom du “progrès”, tel que décrit ci-dessus, que nous sommes envahis de toxines telles que le mercure qui, en activant notamment les MMP-9 (enzymes qui détruisent directement la muqueuse et notre tube digestif), empêche la transformation correcte de nos aliments, eux-mêmes responsables de l’état de notre flore intestinale. Cette flore conditionne notre état de santé, mais aussi les toxines produites par les bactéries pathogènes.
Le passage de bactéries indésirables rendu possible par cette perméabilité peut avoir de graves répercussions, notamment au niveau des organes, comme dans le cas des pathologies cardiaques.
Le choix de notre alimentation afin de réduire les bactéries indésirables et de nourrir les bactéries symbiotiques (lactiques) est donc essentiel. Le déterminisme “c’est la génétique, on n’y peut rien” est aujourd’hui fortement remis en cause, car l’épigénétique, discipline qui permet de décrire comment l’environnement active ou non l’expression de certains gènes, nous montre que c’est bien l’alimentation que nous consommons qui active certains gènes, comme dans le cas de l’obésité ou du diabète. En agissant sur nos choix alimentaires, nous pouvons prévenir, traiter et parfois guérir un grand nombre de maladies.
Références