Bien que certaines anciennes pratiques en matière d’entraînement soient souvent considérées comme scientifiquement correctes, une vérification plus approfondie montre parfois qu’il n’existe pas toujours de données pour étayer cet enseignement. Ainsi, les exercices polyarticulaires doivent-ils vraiment être effectués en premier lors d’une séance d’entraînement ?
Même si on suppose que certaines choses sont fondées, on ne dispose pas toujours de données suffisantes pour étayer certaines affirmations. Cela ne veut pas dire que l’affirmation est fausse, mais cela signifie simplement que nous avons tendance à ne pas remettre en cause des méthodes établies depuis longtemps.
Dans le cadre de cet article, l’affirmation répandue que nous étudierons est celle qui consiste à dire que pour prendre de la masse musculaire, il faille effectuer des exercices polyarticulaires avant des exercices mono-articulaires lors des entraînements.
Cette étude se base sur les résultats d’une expérience : “Effects of order of resistance training exercises on muscle hypertrophy in young adult men”, publiée en 2019 dans la revue scientifique canadienne Applied Physiology, Nutrition, and Metabolism(1).
Décryptage de l’étude
Participants et méthodes
Participants
36 hommes sportifs, mais non pratiquants de la musculation ont participé à l’étude. Il y avait 19 personnes dans le groupe polyarticulaire en premier et 17 dans le groupe mono-articulaire d’abord. Les détails concernant les participants sont présentés dans le tableau ci-dessous.

Crédit tableau © Docteur-fitness.com
Protocole de l’étude
Le protocole était assez simple. Tous les sujets effectuaient 3 séances de musculation par semaine et effectuaient les mêmes 10 exercices à chaque séance à raison de 3 séries de 8 à 12 répétitions.
La seule différence entre les groupes était l’ordre dans lequel les exercices étaient effectués.
Le premier groupe a effectué tous les exercices polyarticulaires pour le haut du corps en premier, puis tous les exercices mono-articulaires pour le haut du corps, suivis de tous les exercices pour le bas du corps, en commençant par les exercices polyarticulaires et en terminant par les exercices mono-articulaires.
Le deuxième groupe a aussi effectué les exercices du haut du corps suivis de ceux du bas du corps, mais en faisant les exercices mono-articulaires avant les exercices polyarticulaires.
L’épaisseur des muscles a été mesurée par échographie au niveau du biceps et de la cuisse, tandis que des analyses approfondies au moyen de la méthode DEXA ont permis de déterminer la proportion de masse maigre du haut du corps, du bas du corps ainsi que du torse. Toutes les mesures ont été effectuées 3 jours avant le début de l’entraînement et 3 jours après le programme de 6 semaines d’entraînement.
Les participants avaient pour consigne de s’arrêter à la limite inférieure de la fourchette de répétitions lors des deux premières séries (soit environ 8 répétitions), puis d’aller jusqu’à l’échec lors de la dernière série.
La liste et l’ordre des exercices effectués figurent dans le tableau ci-dessous.
Exercices polyarticulaires | Exercices mono-articulaires |
---|---|
Développé couché | Curl biceps |
Tirage vertical pour le dos | Extension des triceps à la poulie |
Tirage vertical pour les épaules | Développé épaule |
Développé épaule | Tirage vertical pour les épaules |
Extension des triceps à la poulie | Tirage vertical pour le dos |
Curl biceps | Développé couché |
Presse à cuisse | Extension des mollets debout |
Leg extension | Leg curl |
Leg curl | Leg extension |
Extension des mollets debout | Presse à cuisse |
Résultats de l’étude
Aucune différence statistiquement significative n’a été constatée entre les groupes sur toutes les mesures. Les deux groupes ont enregistré une hypertrophie des biceps (p<0,05). Seul le groupe polyarticulaire a présenté une légère hypertrophie des cuisses, mais la taille de l’effet entre les groupes était négligeable pour cette mesure (0,14).
Il serait donc exagéré de considérer que le groupe polyarticulaire ait obtenu des résultats nettement supérieurs à cet égard. Il n’y avait pas non plus de différences significatives entre les groupes en termes d’augmentation de la masse maigre (p>0,05) ; cependant, il y avait une légère différence de la taille d’effet (d=0,35) traduisant une possible amélioration de la masse maigre au niveau du torse dans le groupe polyarticulaire.
Finalement, les résultats étaient très proches entre les groupes, avec un éventuel avantage en faveur du groupe polyarticulaire dans certains cas. Les évolutions en pourcentage avant et après l’étude et les tailles d’effet entre les groupes sont présentées dans le tableau suivant.

Mes commentaires et interprétations
Pour faire simple, les résultats suggèrent qu’il n’est pas si important de commencer par des exercices poly ou mono-articulaires à l’entraînement lorsque l’objectif est la prise de muscle.
Cela dit, si une des stratégies était à privilégier, il y aurait un léger avantage à faire des exercices polyarticulaires en premier. Mais dans la mesure où il n’y a que peu de différences entre les groupes, cela signifie que vous pouvez faire ce que vous préférez.
Il faut noter que la durée de l’étude était assez courte (6 semaines), et que les participants étaient non initiés, ce qui peut limiter les résultats. Étudions donc la possibilité que l’ordre des exercices puisse avoir une importance à long terme et pourquoi cela pourrait être avéré.
En pensant à long terme
Bien qu’il n’y ait pas eu de différence significative entre les groupes au niveau de l’hypertrophie des cuisses, la différence de 3,3 % en faveur du premier groupe polyarticulaire pourrait se traduire par une différence plus significative sur une plus longue période.
Il faut envisager la possibilité que l’exécution des exercices mono-articulaires en premier puisse modifier de manière significative le volume d’entraînement effectué sur les mouvements composés, entravant ainsi la croissance musculaire.
En effet, une étude antérieure de Simao et al. a montré que lorsqu’un exercice est effectué en premier dans une séance, un plus grand nombre de répétitions peuvent être effectuées que si le même exercice était effectué en deuxième partie de séance(3).
Pour prendre un exemple, concernant le calcul du volume d’entraînement, si une personne effectuait ses squats en premier lors d’une séance d’entraînement et effectuait 5 séries de 10 à 70%, cela représenterait un volume relatif de 35 (5 X 10 X 0,70).
En revanche, si vous effectuez vos squats après des extensions de jambe (leg extension) et des flexions de jambe (leg curl), vous ne pourrez peut-être effectuer les 5 séries de 10 qu’à 60%, ce qui se traduit par un volume relatif de 30 (5 X 10 X 0,60).
Cela dit, il est aussi possible que le volume relatif des extensions et des flexions de jambes soit plus élevé lorsque ces mouvements sont effectués en premier, ce qui compenserait une partie (mais pas la totalité) du volume réduit du squat.
Cette stratégie, communément appelée “pré-fatigue”, ne manquera pas de diminuer la charge sur les exercices polyarticulaires, comme décrit ci-dessus.
Petite parenthèse, puisque la pré-fatigue réduit la charge soulevée sur les mouvements composés, cela semble être une mauvaise approche si l’objectif est de prendre de la force(4).
Aussi, pour revenir à l’exemple ci-dessus de la réduction du volume d’entraînement, il est en fait facile de compenser la diminution du volume. Si dans le cas décrit précédemment, le pratiquant ajoutait simplement une sixième série pour effectuer 6 X 10 à 60 %, le volume relatif serait alors égal à 36, ce qui est sensiblement équivalant à 5 X 10 à 70 %. Ainsi, une charge plus légère n’aurait pas beaucoup de répercussions sur l’hypertrophie, en supposant que l’effort à fournir pour chaque série soit similaire.
Comme pour tous les programmes menés sur le long terme, le fait d’effectuer des mouvements d’isolation en premier ou en second lors d’une séance d’entraînement ne devrait pas nécessairement être un principe du “tout ou rien”.
Par exemple, si vous faites du squat deux fois par semaine, un jour avec un nombre de répétitions plus élevé (10-12 répétitions) et l’autre jour avec un nombre de répétitions plus petit (4-6 répétitions), mais que vous ne souhaitez pas toujours commencer votre séance par des squats, alors faites des squats plus tard dans la séance, le jour où le nombre de répétitions est le plus élevé, et en premier lieu le jour où le nombre de répétitions est moins élevé.
Comme le jour avec le plus grand nombre de répétitions vise à augmenter le volume, vous pourrez toujours l’augmenter même si vous devez réduire la charge comme expliqué ci-dessus.
Inversement, le jour avec un plus petit nombre de répétitions étant axé sur la force et où la priorité est de maximiser la charge, il sera plus judicieux de faire des squats en premier ce jour-là.
Cela dit, soyez attentif à la technique lorsque vous ferez des squats en fin de séance. Les squats sont un exercice exigeant, alors que les exercices impliquant qu’une seule articulation sont plus simples ; vous devez donc être très attentif à votre technique afin de ne pas perdre la maîtrise du mouvement et risquer de vous blesser parce que vous êtes déjà fatigué.
Stratégiquement, une des raisons pour lesquelles il est considéré comme plus efficace de faire d’abord des exercices polyarticulaires pour l’hypertrophie est que l’activation musculaire est diminuée lorsqu’un mouvement polyarticulaire est effectué après un mouvement mono-articulaire(5)(6).
Toutefois, ce raisonnement ne me satisfait pas pleinement, car une activation musculaire plus importante n’est pas garante d’une plus grande croissance. En effet, de nombreux facteurs peuvent affecter l’activité musculaire telle qu’elle est enregistrée par un électromyogramme, et il peut également être inapproprié de supposer que le recrutement d’une unité motrice ressort directement au niveau des résultats de l’électromyogramme(7).
En bref, je ne pense pas que l’activation musculaire soit la raison pour laquelle les exercices polyarticulaires devraient être effectués en premier, si c’est effectivement le cas.
Cette étude a montré une différence potentiellement significative (taille de l’effet = 0,35) au niveau de la prise de masse maigre du buste chez le groupe polyarticulaire en premier.
Cependant, dans une étude portant sur des personnes non expérimentées, où la variation individuelle est assez élevée et où il n’y a pas de signification statistique, je ne me sens pas à l’aise pour dire que le groupe polyarticulaire en premier présente un avantage indiscutable pour cette mesure d’un point de vue scientifique.
Si le bénéfice existe, il pourrait être dû aux considérations de volume d’entraînement mentionnées précédemment. Cependant, si le volume est le facteur déterminant, un plus petit volume d’entraînement peut être compensé par l’ajout d’une série, comme expliqué précédemment.
Je voudrais donc donner avec prudence mon opinion générale, qui, il est vrai, ne repose que sur des données limitées et intègre également l’hypothèse logique à laquelle nous avons fait référence précédemment.
Mon opinion est que la réalisation d’exercices polyarticulaires en premier est probablement une bonne idée à long terme pour l’hypertrophie. J’en arrive à cette fragile conclusion parce que l’étude actuelle le confirme en partie et qu’elle ne montre certainement aucun avantage pour les exercices mono-articulaires effectués en premier.
Cependant, cette question est probablement loin d’être tranchée ; pour l’instant, il est probablement acceptable de vous dire “faites comme vous préférez” pour l’ordre des exercices si votre objectif est la prise de masse musculaire. Une petite mise en garde cependant : ne négligez pas le volume en faisant votre choix.
Par exemple, si vous avez progressé avec 10 séries de squats par semaine (5 séries deux fois par semaine) et que vous commencez maintenant à faire d’autres mouvements en premier, mais que vous ne faites que trois séries de squats par séance parce que vous êtes plus fatigué mentalement quand vous arrivez aux squats, alors vous risquez de compromettre votre entraînement.
Donc, “faites ce que vous voulez” tant que vous vous entraînez à fond. Pour ce qui est de la force, les données révèlent plus clairement que les exercices qui permettent de l’améliorer sont les exercices composés (polyarticulaires).
Ce qu’il faut retenir
Il est difficile de conclure de façon catégorique sur le fait que la réalisation d’exercices polyarticulaires ou mono-articulaires en première partie d’une séance confère un réel avantage en termes d’hypertrophie. Cependant, si l’une des deux approches avait un avantage par rapport à l’autre, ce serait celle qui consiste à effectuer en premier les exercices polyarticulaires.
Une possibilité pour laquelle la réalisation d’exercices mono-articulaires au début, autrement dit la pré-fatigue, serait moins judicieuse est que cette stratégie pourrait compromettre le volume d’entraînement avec les mouvements polyarticulaires. Bien que cela soit possible, réduire la charge et ajouter une série d’exercices avec un mouvement polyarticulaire pourrait contrebalancer la réduction du volume d’entraînement.
En fin de compte, si l’hypertrophie musculaire est influencée par l’ordre des exercices, ce n’est probablement pas de façon très significative. Effectuer des exercices polyarticulaires avant des exercices mono-articulaires lors d’une séance d’entraînement peut être “plus rassurant”, mais si vous préférez effectuer d’abord des exercices mono-articulaires, vous pouvez le faire sans problème.
Références