L’entraînement à l’échec sur chaque série est une pratique courante chez de nombreuses personnes. Malgré que certaines études antérieures suggèrent qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’aller jusqu’à l’échec pour chaque série, il est simple de comprendre les raisons de cette pratique, car elle est associée à une meilleure congestion, à un niveau de difficulté plus élevé et à un sentiment d’accomplissement plus grand.
L’étude que nous allons décrypter(1) a de nouveau analysé l’effet des entraînements en allant ou pas jusqu’à l’échec, avec un volume égal et un volume d’entraînement inférieur auprès d’un grand nombre de pratiquants.
Pour être plus précis, voici la problématique exacte des chercheurs : l’entraînement jusqu’à l’échec déclenche-t-il chez de jeunes sportives des réponses supérieures en termes d’hypertrophie, de force et d’endurance par rapport à l’entraînement sans échec ? En outre, y a-t-il une différence dans les adaptations musculaires avec l’entraînement sans échec si le volume de travail est égal ou inférieur à celui de l’entraînement jusqu’à l’échec ?
Allons donc vérifier avec cette nouvelle expérience si l’entraînement à l’échec est nécessaire et quand il peut ou non être approprié.
Décryptage de l’étude
Participants et méthodes
Participants
89 jeunes femmes actives physiquement n’ayant pas effectué un entraînement de musculation au cours des 6 derniers mois ont participé à cette expérience. Cette grande taille d’échantillon est une excellente caractéristique pour cette étude.
Il est probable que les chercheurs aient spécifiquement recruté des participantes qui ne s’étaient pas entraînées au cours des 6 mois précédents, car c’est le temps qu’il faut pour que les muscles soient pleinement susceptibles de subir le maximum de lésions si aucun entraînement n’a eu lieu(2). Les caractéristiques spécifiques des participantes sont indiquées dans le tableau ci-dessous.
Conception de l’étude et programme d’entraînement
Les participantes se sont entraînées 2 fois par semaine pendant 10 semaines et ont été réparties en 3 groupes différents. Avant, au milieu et après l’étude, on a évalué la 1RM au curl biceps (test de force), le moment de la force isométrique maximal (MFM) des muscles fléchisseurs du coude (test de la puissance), l’hypertrophie (épaisseur du muscle mesurée sous échographie) et l’endurance musculaire (répétitions maximales à 70 % de 1RM) du biceps.
Les 3 groupes étaient les suivants :
- À l’échec (AE, n=30) dans lequel les participantes ont effectué 3 séries jusqu’à l’échec avec 70 % de 1RM.
- Sans aller à l’échec, mais avec un volume de travail égal au groupe allant à l’échec (SEVE, n=32), qui ont impliqué 4 séries de 7 répétitions à 70 % de 1RM.
- Sans aller à l’échec (SE, n=27), avec un volume de travail inférieur, car elles n’ont effectué que 3 séries de 7 à 70 % de 1RM.
Tous les groupes avaient 2 minutes de repos entre chaque série. Les auteurs de l’étude indiquent que les charges d’entraînement ont été progressivement augmentées tout au long de sa réalisation ; cependant, aucun autre détail n’a été fourni sur le modèle de progression. De plus, les participantes ont effectué de 4 à 6 autres exercices par session pour entraîner tout le corps, et tous les groupes ont effectué ces autres exercices sans aller à l’échec.
Résultats de l’étude
Volume total d’entraînement
De par sa conception, le volume de travail était similaire entre les groupes AE et SEVE, et ces deux groupes avaient un volume d’entraînement supérieur à celui des SE. Les auteurs ont d’abord mené une étude préliminaire avant de concevoir le protocole et de déterminer que 4 séries de 7 (groupe SEVE) auraient un volume similaire à celui du groupe AE. Le volume de travail total de chaque groupe sur l’ensemble des 10 semaines est illustré sur le graphique 1.

* significativement plus grand que le groupe SE
Crédit graphique © Docteur-fitness.com
Force
Il n’y a pas eu de différences entre les groupes en ce qui concerne la force sur 1RM, que ce soit au milieu ou à la fin de l’étude, mais tous les groupes ont augmenté leur force de manière significative avant, pendant et après l’étude. Les variations en pourcentage et les tailles d’effet intra-groupe avant et après les études pour la 1RM sont présentées dans le tableau ci-dessous.
Groupe | % de changement | Taille d’effet | Valeur-p |
---|---|---|---|
AE | +28.3 % | 0.99 | <0.001* |
SEVE | +28.3 % | 1.26 | <0.001* |
SE | +26.8 % | 1.00 | <0.001* |
* Augmentation significative entre le début et la fin de l’étude
Le MFM a été testé à des valeurs de 60°.s-1 et 180°.s-1. Le groupe SEVE a augmenté sa force à 60°.s-1 à la suite de l’étude, alors que ni le groupe AE ni le groupe SE n’ont amélioré cette mesure. Le groupe SEVE et le groupe SE ont tous deux amélioré leur MFM à 180°.s-1 à la suite de l’étude, mais pas le groupe AE (p>0,05).
Le groupe AE a été le seul à ne pas avoir amélioré son MFM à aucune des deux vitesses.
Hypertrophie
Les groupes AE et SEVE ont tous deux augmenté leur taille de muscles tout au long de l’étude (p<0,001). Le groupe SE n’a pas augmenté significativement sa taille de muscles durant l’étude ; cependant, la valeur p de ce changement s’est rapprochée de la significativité avec une valeur p=0,09. Le tableau ci-dessous montre la variation en pourcentage, la taille d’effet et la valeur p pour les augmentations de taille de muscles dans chaque groupe, entre la période avant et après l’étude.
* Augmentation significative entre le début et la fin de l’étude / # Pas d’augmentation significative entre le début et la fin de l’étude, mais la valeur-p s’est rapprochée de la significativité.
Endurance musculaire
Tous les groupes ont augmenté de manière significative l’endurance musculaire en termes de nombre de répétitions effectuées à 70 % de 1RM (p<0,05) ; mais aucune différence n’a été constatée entre les groupes.
Mes commentaires et interprétations
Cette étude corrobore une méta-analyse selon laquelle l’entraînement à l’échec n’est pas nécessaire pour prendre de la force(3). Plus précisément, la méta-analyse de Davies et al. comprenait seulement 4 études similaires à la présente étude, dans lesquelles l’entraînement à l’échec et l’entraînement sans échec à volume de travail égal ont été comparés. Dans ces études, il n’y avait pas de différence significative au niveau de la prise de force. En outre, sur les 4 études analysées, aucune n’incluait uniquement des femmes, et toutes avaient des échantillons de participants bien plus petits que dans la présente étude, de sorte que cette étude est unique dans la mesure où elle fournit des données sur un grand groupe de femmes.
L’explication de ces adaptations de force similaires est probablement que tous les groupes se sont entraînés à la même intensité (70 %). En effet, même lorsque le volume a été égalisé dans les études précédentes, les gains de force étaient plus importants dans les groupes qui s’entraînaient à des intensités plus élevées(4). Dans la présente étude, le groupe SE avait un volume de travail moins élevé que les autres groupes et a bénéficié d’adaptations de force similaires. Ainsi, si le volume n’est pas radicalement différent entre les groupes, les adaptations de force sont similaires si l’intensité est la même entre les groupes.
Divers articles publiés dans la rubrique entraînement ont traité de la forte relation entre le volume total d’entraînement et l’hypertrophie musculaire. Je ne vais donc pas répéter les mêmes informations, car je suis sûr que vous êtes tous bien au fait depuis le temps. Du fait de cette relation, il n’est absolument pas surprenant que l’hypertrophie ne soit pas statistiquement différente dans les groupes AE et SEVE et qu’elle augmente légèrement moins dans le groupe SE, qui s’est entraîné avec un volume d’entraînement légèrement inférieur. De plus, l’analyse des données montre une augmentation de +17,5 % de la taille des muscles dans le groupe des AE par rapport à une variation de +8,5 % dans le groupe des SEVE, il se peut donc qu’il y ait eu une hypertrophie significativement plus importante pour le groupe des AE par rapport au groupe SEVE qui n’a pas été relevé par les analyses statistiques. En fait, les tailles d’effet intra-groupe de 0,57 (AE) et 0,50 (SEVE) ont été interprétées comme ayant la même ampleur de changement (faible dans cette étude) malgré la différence hypertrophique de 9 % plus importante dans le groupe AE.
C’est regrettable, car les tailles d’effet inter-groupe sont une analyse plus robuste pour comparer deux groupes par rapport aux tailles d’effet intra-groupe, et ce calcul aurait pu déterminer un changement significatif plus important dans le groupe AE par rapport au groupe SEVE. En effet, je suis convaincu qu’une petite taille d’effet inter-groupe de 9 % en faveur des AE par rapport aux SEVE était présente. Cependant, nous ne pouvons pas affirmer cela avec certitude sans les données individuelles des sujets pour le calculer.
Il est important de noter que cette étude est la première à ma connaissance à examiner les réponses hypertrophiques dans un groupe effectuant des répétitions à l’échec par rapport à un groupe s’arrêtant avant l’échec avec un volume équivalent chez les femmes uniquement, ce qui est une contribution majeure pour la littérature. Ainsi, malgré l’absence de taille d’effet entre les groupes, cette étude est précieuse, car inédite. Il convient cependant de souligner que la réponse à l’hypertrophie était statistiquement similaire entre les groupes AE et SEVE, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire de s’entraîner à l’échec pour obtenir une augmentation importante de l’hypertrophie, du moins dans les premières semaines de l’entraînement.
Concernant l’endurance musculaire, il n’est pas surprenant que tous les groupes aient connu une augmentation similaire. Cependant, une méthode d’évaluation légèrement différente aurait été préférable. Plus précisément, le test d’endurance musculaire à chaque période a été effectué en utilisant les 70 % de la 1RM obtenue au début de l’étude, au lieu des 70 % de la 1RM de chaque période de test. En effet, le test d’endurance musculaire aurait dû utiliser le pourcentage de la force sur le moment et non de la force dans le passé. Dans cette étude, tous les groupes ont augmenté la force 1RM de façon similaire ; par conséquent, je pense qu’il est probable que les améliorations de l’endurance musculaire étaient les mêmes que celles qui ont été trouvées. Cependant, une augmentation des répétitions avec 70 % de 1RM avant l’étude, au milieu et après l’étude, reflète aussi une augmentation de la force en plus de l’endurance. Si la nouvelle 1RM avait été utilisée à chaque test pour calculer les 70 % et que le nombre maximum de répétitions avait augmenté, cela aurait permis d’évaluer si l’endurance musculaire relative avait réellement augmenté plutôt que d’évaluer seulement si la force avait augmenté le nombre de répétitions effectuées avec la charge utilisée au début de l’étude. Pour justifier cette affirmation, des recherches antérieures ont démontré que des groupes effectuant un grand et un petit nombre de répétitions ont obtenu une amélioration similaire de la force en 8 semaines, mais que le groupe effectuant le plus grand nombre de répétitions a amélioré son endurance musculaire de façon plus importante lorsque la 1RM après l’étude était utilisée pour calculer la charge du test d’endurance(5).
Dans cette étude, le moment maximal de la force isométrique a été utilisé pour évaluer la puissance, et les deux groupes d’entraînement sans échec ont amélioré leur puissance avec l’une ou aux deux vitesses de contraction. Il existe une précédente étude d’Izquierdo et al.(6), qui a montré que l’entraînement à l’échec n’améliorait pas la puissance au développé couché, et d’autres recherches ont démontré que l’entraînement à l’échec à la presse à cuisses entraînait un plus faible gain de puissance que l’entraînement sans échec(7). Ces résultats sont probablement dus à la diminution de la vitesse lors des dernières répétitions avec l’entraînement à l’échec, alors qu’un groupe sans échec ne subit pas le même degré de diminution de vitesse, et qu’il passe une plus grande partie de son temps d’entraînement à soulever une charge avec une vitesse plus élevée.
En pratique, l’entraînement jusqu’à l’échec n’a pas besoin d’être utilisé comme principale méthode pour favoriser des adaptations musculaires. En fait, l’entraînement à l’échec pour la force, et en particulier la génération de puissance, devrait en principe être évité. Il convient plutôt de l’utiliser stratégiquement dans des situations telles qu’avec un programme d’entraînement avec autant de répétitions que possible (AMRAP) programmé vers la fin d’une semaine d’entraînement, afin de ne pas interférer avec les séances qui suivent.
En outre, comme cette étude a été réalisée auprès de personnes débutantes, il faut souligner que les débutants ont intérêt à conserver les entraînements à l’échec pour les mouvements simples ou les exercices d’isolation et d’éviter les entraînements à l’échec pour les exercices complexes (squat, développé couché et deadlift). En effet, le risque de blessure est amplifié lors de l’entraînement à l’échec, et il n’y a aucune raison pour les débutants d’augmenter ce risque avec des exercices techniquement exigeants.
En ce qui concerne l’hypertrophie, un bodybuilder peut certainement s’entraîner de façon sous-maximale et réaliser d’excellents progrès ; cependant, le pourcentage de changement plus élevé pour l’hypertrophie dans le groupe AE par rapport au groupe CEVE dans cette étude est intéressant. Cette variation de pourcentage sans autre statistique à l’appui ne suffit pas pour recommander l’entraînement à l’échec comme unique stratégie. De plus, des recherches antérieures de Sampson et al. ont montré que l’entraînement des biceps avec ou sans échec provoquait une hypertrophie similaire sur une période de 12 semaines d’entraînement(8). Il semble donc que l’entraînement sous-maximal devrait être utilisée en alternance avec un entraînement jusqu’à l’échec.
Je rabâche mais il faut souligner que cette étude portait sur des débutantes et qu’elle utilisait l’exercice du curl barre plutôt que des exercices polyarticulaires. Et en effet, l’entraînement à l’échec en tant que novice avec des exercices plus complexes devrait être déconseillé pour deux raisons :
- Des adaptations similaires sont possibles sans aller à l’échec.
- Le niveau de compétence pour les exercices polyarticulaires est bien plus exigeant que le curl barre, donc les débutants ayant une mauvaise technique courent un plus grand risque de se blesser à cause d’une défaillance de la technique lors des dernières répétitions d’une série.
Il faut également souligner que le nombre de répétitions effectuées par le groupe AE sur chaque série n’a pas été communiqué ; par conséquent, nous ne pouvons pas connaître exactement la valeur de l’effort perçu (RPE) ou la quantité de répétitions en réserve (RR) laissée sur chaque série dans les groupes SEVE et SE, ce qui est important à connaître pour déterminer à combien de répétitions un pratiquant peut s’entraîner et bénéficier des mêmes avantages que l’entraînement à l’échec.
Cependant, nous pouvons examiner les données présentées et obtenir une estimation correcte du RPE dans le groupe sans échec. Lors de l’étude préliminaire, le groupe CEVE a effectué 11 répétitions à 70 % pendant son test d’endurance musculaire (ce chiffre est tiré du graphique en barres dans le document). Rappelez-vous, pendant l’étude, ils ont fait 4 séries de 7 à 70 % de 1RM ; donc la première série correspondrait à un RPE de 6 (ou 4 RR) après la première série, puis ce RPE est probablement passé à 7-8 au cours des séries suivantes. En gardant cela à l’esprit, nous pouvons estimer qu’il y a eu entre 2 et 4 RR pendant la plupart des séries ; cependant, il faut également préciser que la capacité à effectuer des répétitions à une intensité spécifique est individuelle, il est donc également probable que certains sujets du groupe SEVE avaient >4 RR sur certaines séries, alors que d’autres en avaient <2 . Néanmoins, sur la base des données fournies, il semble raisonnable d’estimer que les sujets du groupe SEVE ont eu un nombre moyen de RR entre 2 et 4 tout au long de l’étude. Ceci est important car, même si un entraînement sous-maximal peut apporter les mêmes adaptations musculaires qu’un entraînement à l’échec, il se peut que le fait de renoncer à 6 RR n’apporte pas les mêmes adaptations qu’un entraînement à l’échec, alors que le fait de terminer une série avec une RR comprise entre 1 et 5 (RPE : 9-5) peut être suffisant.
Ce qu’il faut retenir
- Il n’est pas nécessaire pour les débutants de s’entraîner jusqu’à l’échec, que ce soit pour prendre du muscle ou augmenter la force.
- Si vous choisissez de vous entraîner à l’échec, vous devez vous contenter de mouvements simples, car une mauvaise technique lors de l’entraînement à l’échec avec des exercices complexes augmente le risque de blessure.
- L’entraînement à l’échec peut réduire les progrès en matière de puissance, c’est pourquoi les pratiquants de l’haltérophilie ou même du powerlifting devraient éviter de s’entraîner à l’échec pour ne pas compromettre leur progression.
Références