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Malgré l’avancée des connaissances scientifiques depuis la deuxième partie du 20e siècle, le monde du sport et de l’entraînement regorge encore à l’heure actuelle de mythes et d’idées reçues.
L’une des plus ancrées en ce qui concerne la performance concerne la production d’acide lactique lors d’un effort physique intense.
Quel sportif, indépendamment de son niveau et de sa discipline, n’a ainsi jamais entendu la/les phrase(s) suivante(s) ? “Je suis lactique aujourd’hui”, “j’en peux plus, j’ai trop d’acide lactique dans les muscles” ou encore “avec tout ce lactique, je vais avoir des crampes” ?
Ces phrases, très présentes dans le jargon de la communauté sportive, traduisent malheureusement une incompréhension globale des processus biochimiques à l’origine de la production d’acide lactique et de lactate.
L’objectif du présent article sera par conséquent de démystifier le sujet au regard des connaissances scientifiques actuelles en ce qui concerne ces deux molécules. Afin de tordre le cou aux idées reçues évoquées un peu plus haut, nous expliquerons en quoi parler d’acide lactique dans le contexte de l’effort musculaire s’avère erroné, mais également en quoi les lactates ne peuvent désormais plus être considérés comme un déchet pour l’organisme.
Un peu d’histoire et de chimie
L’acide lactique est une molécule désormais bien connue puisqu’elle fut découverte en 1780 par le chercheur Karl Wilhelm Scheele.
Ce dernier étudiait alors les processus de fermentation des produits laitiers lorsqu’il mit en évidence la présence systématique d’une molécule au cours du processus de fermentation ; l’appellation d’acide lactique était née.
D’un point de vue chimique, l’acide lactique est un acide tricarboxylique, connu sous le nom d’acide 2-hydroxypropanoïque, de formule brute C₃H₆0₃.
On constate la présence d’un groupement carboxyle (C=O-OH) qui confère ses propriétés à la molécule.
De plus, comme le montre la configuration spatiale de la molécule sur la figure ci-dessous, le carbone n°2 est porteur d’un groupement hydroxyle OH (d’où l’appellation 2-hydroxy).
La présence de ce groupement OH est importante puisque c’est elle qui permet à l’acide lactique de se transformer en un ion lactate de formule brute C₃H₅0₃⁻.
On dit que l’acide lactique et l’ion lactate forment un couple acide/base ou l’ion lactate correspond à la base conjuguée de l’acide lactique.
Ce dernier est considéré comme un acide faible, car il ne se dissocie pas entièrement en ion lactate lorsqu’il réagit avec l’eau. Notons enfin que ce couple acide/base possède une constante de dissociation, notée pKa, relativement faible d’une valeur de 3,86.
Cette constante, comme nous le verrons par la suite, revêt une importance toute particulière en ce qui concerne le devenir de l’acide lactique au sein de la cellule musculaire.
Ces propriétés chimiques font de l’acide lactique une molécule particulièrement appréciée dans le domaine de l’industrie ; il est par exemple utilisé dans le domaine alimentaire comme additif en tant qu’antioxydant ou bien comme exhausteur de goût.
Il est également fréquemment employé dans le domaine des cosmétiques ou en tant qu’agent de décontamination.
Formation de l’acide lactique et du lactate au sein de l’organisme
En ce qui concerne le monde vivant, l’acide lactique est produit lors de la fermentation du glucose en l’absence de dioxygène, c’est-à-dire en condition anaérobie.
In vitro, la fermentation anaérobie d’une molécule de glucose induit la production de deux molécules d’acide lactique, d’après l’équation de réaction ci-dessous :
C6H1206 -> 2 C3H6O3 (CH3 – CH0H – C02H)
Toutefois, comme indiqué précédemment, l’acide lactique est dissocié en un ion lactate et un proton (H⁺) pour des valeurs de pH supérieures à 3,86.
Or le pH intramusculaire est en moyenne compris entre 6,5 et 7,5. Ainsi, à ces valeurs de pH physiologiques, l’acide lactique est entièrement et instantanément dissocié en un ion lactate et un proton.
Dès lors, parler de production d’acide lactique dans le cadre d’un effort musculaire s’avère très inexact, pour ne pas dire complètement erroné.
Lors de la dégradation du glucose (ou du glycogène) dans le cytosol des cellules, 2 moles de pyruvate sont finalement formées à partir de l’oxydation d’une mole de substrat glucidique.
Le processus chimique permettant de dégrader du glucose ou du glycogène en pyruvate, puis en lactate, est indiqué sur le schéma ci-dessous.
De ce schéma à première vue incompréhensible, retenons l’essentiel : lors de la glycolyse, le glucose et/ou le glycogène vont être dégradés afin de produire de l’adénosine triphosphate (ATP) nécessaire à la contraction musculaire. Cette dégradation va avoir lieu au travers d’une succession de réactions enzymatiques se déroulant dans le cytosol des cellules.
Ces 10 réactions enzymatiques vont permettre la production de 2 moles d’ATP à partir d’une mole de glucose et de 3 moles d’ATP à partir d’une mole de glycogène. Cette production énergétique s’accompagne également de la production de 2 moles de pyruvate (formule brute C₃H₃0₃⁻) ainsi que de protons H⁺, responsables de la diminution du pH intramusculaire et, par voie de conséquence, de l’activité de certaines enzymes.
Afin de contrecarrer cette acidose métabolique, le corps va faire appel à une coenzyme au pouvoir réducteur (c’est-à-dire capable de capter et de transférer des protons) que l’on appelle le Nicotinamide Adénine Dinucléotide (NAD).
Ce NAD va être capable de prendre en charge les protons produits par la glycolyse en les transférant à l’intérieur de la mitochondrie par un système de navettes (appelées navette malate-aspartate). Le NAD devient dès lors du NADH,H⁺ et va relâcher ses protons au sein de la chaîne respiratoire pour reformer du NAD et pouvoir ainsi retourner dans le cytosol afin de prendre en charge de nouveaux protons.
Toutefois, ces navettes peuvent se trouver surchargées en cas de forte production de protons de la part de la glycolyse. À ce moment, le NADH,H⁺ va transférer ces protons au pyruvate afin de former des ions lactates. C’est ainsi que du lactate peut être formé via la glycolyse lorsque cette dernière est fortement sollicitée.
Dès à présent, on peut alors couper court à l’idée reçue qui voudrait que la production de lactates soit acidifiante pour l’organisme. En effet, la production de lactate à partir du pyruvate engendre la consommation de deux protons ; c’est l’inverse d’une réaction acidifiante qui, par définition, libère 2 protons. On peut ainsi affirmer sans crainte que la production de lactates possède un effet alcalinisant sur le pH intramusculaire.
Le paradigme qui, dans les années 80/90, décrivait le lactate comme un déchet métabolique, apparaît par conséquent d’ores et déjà invalidé. Le lactate est en effet actuellement considéré comme un métabolite intermédiaire renfermant encore une grande quantité d’énergie utilisable par l’organisme. À titre d’exemple, des injections de lactate lors d’un exercice de force chez des rats ont mis en évidence une augmentation de la force musculaire(1).
Mieux encore, les travaux de Jean-René Lacour(2) ont permis d’établir une forte corrélation entre la production musculaire de lactates et la performance sur 400 mètres.
Soulignons qu’il existe toutefois bel et bien un phénomène d’acidose métabolique concomitant à la production de lactates causé par l’importante production d’ions H⁺ lors de la glycolyse(3).
De nombreux travaux scientifiques récents tendent cependant à démontrer que cette acidose métabolique n’est pas le principal facteur responsable de la fatigue musculaire à l’effort.
Cette dernière, encore relativement mal comprise, serait le résultat de la modification de plusieurs paramètres physico-chimiques parmi lesquels on retrouve l’élévation de la température intramusculaire, la diminution du pH, l’accumulation de phosphates inorganiques ou encore le couplage du calcium dans le réticulum sarcoplasmique.
Devenir du lactate dans la cellule musculaire
Maintenant que nous savons comment est produit le lactate au sein de l’organisme, intéressons-nous à son utilisation au sein de la cellule musculaire.
Déjà en 1999, des chercheurs(4)(5) démontraient que le lactate était capable de pénétrer à l’intérieur de la mitochondrie via des transporteurs spécifiques.
Nous savions déjà à l’époque que l’enzyme lactico-déshydrogénase (LDH) permettait de convertir du pyruvate en lactate en acceptant deux protons issus du NADH,H⁺.
Mais les travaux de Brooks précédemment évoqués ont permis de constater qu’il existait deux composantes pour l’enzyme LDH ; l’une présente dans le cytosol des cellules (celles que nous connaissions déjà) et l’autre à l’intérieur de la matrice mitochondriale.
Néanmoins, avant de parvenir jusqu’à la matrice mitochondriale, le lactate doit dans un premier temps être pris en charge par des transporteurs bien particuliers.
En effet, la membrane interne de la mitochondrie s’avère relativement imperméable et nécessite donc l’utilisation de systèmes de transport spécifiques. Dans le cas du lactate, ce transport va être assuré par des transporteurs protéiques de type monocarboxylates (MCT).
Les MCT vont ainsi permettre au lactate de franchir les membranes externes et internes de la mitochondrie afin de se retrouver dans la matrice mitochondriale.
Une fois dans la mitochondrie, le lactate va être dégradé en pyruvate par la composante mitochondriale de l’enzyme LDH. Cette conversion en pyruvate va être possible grâce au NAD présent dans la matrice mitochondriale. Ce dernier va jouer le rôle d’accepteur de protons en captant deux ions H⁺ issus du lactate.
Une fois délesté de ces deux protons, le lactate reforme du pyruvate qui va quant à lui pouvoir être converti en Acétyl-CoA afin d’intégrer le cycle de Krebs et la chaîne de transport des électrons.
L’entraînement va notamment permettre d’augmenter ce processus de réutilisation du lactate à l’intérieur des mitochondries. Ce recyclage pourra se faire via une augmentation de l’activité enzymatique de la LDH ainsi que par une amélioration de l’efficacité des transporteurs de type MCT.
Nous voyons d’ores et déjà ici que le lactate ne représente absolument pas un “déchet” pour l’organisme, comme cela a été prétendu pendant de (trop) nombreuses années. Le lactate constitue au strict minimum un “métabolite intermédiaire” encore très riche en énergie.
Il peut même être considéré comme un substrat énergétique(6) proche des hydrates de carbone au niveau structurel en cela qu’il entraîne la formation de pyruvate intra-mitochondriale.
En plus de pouvoir être utilisé dans la mitochondrie, le lactate est également en mesure d’être acheminé vers le compartiment sanguin à partir duquel il va pouvoir alimenter d’autres cellules. Ce transport à partir du compartiment sanguin ne pourra s’effectuer là encore que par le biais des transporteurs MCT et ce à partir d’un gradient de concentration.
Cela signifie que le lactate pourra uniquement pénétrer dans les cellules dont la concentration cytosolique en lactate est inférieure à la concentration sanguine. L’un des avantages des MCT est que, à l’inverse des transporteurs GLUT4 par exemple, leur expression n’est que très peu influencée par la concentration sanguine en insuline.
Cette particularité possède un intérêt majeur dans le cas de patients insulino-résistants (diabète de type 2). En effet, les cellules musculaires des patients diabétiques seront ainsi en mesure de bénéficier d’un autre substrat énergétique que les lipides.
Transport du lactate vers d’autres tissus
Comme mentionné juste au-dessus, le lactate présent dans le compartiment sanguin va pouvoir alimenter un certain nombre de cellules au sein de l’organisme.
Dans un premier temps, le lactate produit lors de la dégradation anaérobie des glucides va être redirigé vers le foie afin d’alimenter ce que l’on appelle le cycle de Cori. Ce cycle, du nom des scientifiques l’ayant découvert en 1929(7) permet le transport du lactate produit par les muscles squelettiques jusqu’au foie.
Les cellules hépatiques vont dès lors permettre la production de glucose à partir de molécules de lactate. Ce glucose nouvellement formé dans un processus que l’on appelle néoglucogenèse va par la suite fournir des substrats énergétiques aux cellules ne possédant pas de mitochondries. C’est le cas par exemple des érythrocytes, plus connus sous le nom de globules rouges.
Ceux-ci produisent en effet, étant donné l’absence de mitochondries dans leur cytosol, du lactate par le biais du métabolisme glycolytique. Ce lactate va donc être reconverti en glucose par le foie afin d’alimenter les cellules anaérobies. Précisons ici que la conversion du lactate en glucose dans le foie est possible grâce à la β-oxydation des acides gras dans les cellules hépatiques.
Cette oxydation permet certes l’apport d’ATP nécessaire, mais induit en contrepartie un faible rendement en ce qui concerne le cycle de Cori. Notons également que les cellules du cortex rénal permettent également d’assurer une faible proportion de la néoglucogenèse. Cette dernière possède donc un rôle prépondérant dans le phénomène de recyclage du lactate.
Le foie n’est toutefois pas le seul organe permettant le recyclage du lactate produit lors de l’effort intense. Les muscles squelettiques peu ou pas concernés par l’effort physique peuvent en effet utiliser le lactate produit afin de produire de l’ATP ; c’est ce qu’on appelle le système de navette inter-organe du lactate(8)(9). L’oxydation de ce lactate va dès lors favoriser une épargne des réserves de glycogène intramusculaire au sein des muscles concernés.
Une fois dans le compartiment sanguin, le lactate est également susceptible d’alimenter les cellules du myocarde par le biais de la circulation veineuse. En effet, le fonctionnement basal du cœur est alimenté en grande partie par le métabolisme des acides gras via le système oxydatif.
Cependant, l’oxydation des lipides s’avère être fortement altérée en conditions ischémiques ou hypoxiques. Dans ces situations, la moindre disponibilité en dioxygène ne permet plus d’oxyder convenablement les acides gras via la β-oxydation. En guise de réponse, le myocarde va adapter son fonctionnement en consommant davantage de lactates.
Ce phénomène est notamment observé en situations pathologiques telles que les infarctus ou les hémorragies. Il a même été démontré, en situation de choc hémorragique, que l’inhibition de la production de lactates engendre une diminution de la force contractile du myocarde(10)(11).
En plus du cœur, le cerveau représente également un organe friand en lactate. Ce phénomène s’oppose ainsi à la théorie qui faisait du cerveau un organe glucodépendant.
S’il n’en reste pas moins vrai que le métabolisme glycolytique du cerveau représente une part importante du métabolisme basal de ce dernier, il est désormais avéré que le pyruvate, le lactate ou encore les corps cétoniques (acétone, acétoacétate, β-hydroxybutyrate) peuvent également intervenir comme substrats énergétiques au niveau cérébral.
Ces composés peuvent, à l’inverse des acides gras, franchir la barrière hémato-encéphalique afin d’alimenter les cellules cérébrales.
En conditions d’ischémie reperfusion, il a par exemple été démontré que l’injection de lactate in vitro et chez des rats permettait une meilleure reperfusion que lors d’une injection de glucose(12)(13).
Chez l’être humain, l’injection de lactate induit de meilleurs résultats dans le traitement de l’hypertension intracrânienne chez des patients souffrant de graves traumatismes crâniens que l’injection isovolumique de mannitol(14).
Chez des patients diabétiques en situation d’hypoglycémie, l’injection de lactate semble posséder un rôle protecteur en ce qui concerne les fonctions cérébrales(15)(16). Les faibles cohortes de ces deux protocoles représentent toutefois une limite importante aux conclusions établies.
Il apparaît en revanche clair que le métabolisme du lactate revêt une importance capitale dans le cadre d’un certain nombre de pathologies.
Mieux encore, le lactate serait en mesure de stimuler la production de Brain-Derived Neurotrophic Factor (BDNF) au niveau de l’hippocampe(17).
Ce facteur de croissance serait à l’origine de la création de nouvelles connexions nerveuses (neurogenèse) et lutterait dans le même temps contre la destruction des cellules nerveuses. Nous pouvons donc hypothétiser le fait que le lactate, par l’intermédiaire du BDNF, possèderait un rôle significatif dans les processus d’apprentissage et de mémorisation à long terme(18). De plus, les études tendent à établir un lien de causalité entre de faibles quantités de BDNF circulant dans le plasma sanguin et des maladies mentales telles que la dépression, l’épilepsie ou encore la maladie d’Alzheimer(19)(20).
Pour conclure cet article, il semble aujourd’hui clair que la réputation de “déchet métabolique” du lactate s’avère totalement désuète.
Produit par la dégradation du glucose au sein de différents organes, dont les muscles squelettiques lors d’un effort physique, le lactate représente pour l’organisme un substrat énergétique riche en énergie.
Nous savons désormais qu’il peut être transporté à la fois à l’intérieur des mitochondries des fibres musculaires pour reformer du pyruvate, mais également vers d’autres organes afin de participer à la production d’ATP.
Ce transfert, connu sous le nom de navette intra et extracellulaire du lactate (“lactate shuttle” en anglais), est assuré par des transporteurs de type monocarboxylates. Ces transporteurs, présents sous plusieurs formes dans l’organisme, assurent le transport du lactate produit en anaérobie vers des organes tels que le cerveau, le cœur, ou encore le foie.
Ce système de navette assure notamment le bon fonctionnement du cerveau et du cœur dans des situations pathologiques telles que l’infarctus ou l’hypertension intracrânienne. De plus, il semblerait que le lactate soit en mesure d’augmenter les facultés cognitives par le biais du Brain-Derived Neurotrophic Factor. Les propriétés du lactate dans le domaine des neurosciences devront toutefois faire l’objet de plus amples travaux afin d’être clairement validées.
Le rôle du lactate au sein de l’organisme apparaît donc à l’heure actuelle comme prépondérant, et ce pour de nombreuses fonctions vitales. De molécule “toxique” dans les années 80 à substrat énergétique de nos jours, les connaissances relatives à cet anion ne cessent d’évoluer. Il est cependant clair que ni l’acide lactique ni le lactate ne sont responsables de la fatigue musculaire, des crampes ou même des courbatures.
De nombreux secrets concernant le lactate restent encore à découvrir dans les années à venir. Décidément, le lactate n’a pas fini de faire parler de lui et de susciter la controverse.
Ce qu’il faut retenir
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Sources éditoriales et fact-checking