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Des chercheurs de l’université de Stanford ont récemment publié une étude suggérant que le régime cétogène, très populaire pour la perte de poids, pourrait également avoir des effets bénéfiques pour traiter certaines maladies psychiatriques sévères comme la schizophrénie et les troubles bipolaires(1). Décryptage.
Prévalence du trouble bipolaire et de la schizophrénie
Selon les estimations de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 600 000 personnes souffrent de schizophrénie en France. Cette maladie psychiatrique se caractérise par une perte de contact avec la réalité, des hallucinations, un discours désorganisé et des troubles cognitifs.
Quant au trouble bipolaire, la Haute Autorité de Santé (HAS) estime que 1 à 2,5 % de la population française en est atteinte, soit entre 660 000 et 1,6 millions de personnes. Anciennement appelé psychose maniaco-dépressive, ce trouble de l’humeur se manifeste par l’alternance de phases d’exaltation (manie) et de phases dépressives.
Pour ces deux pathologies chroniques et invalidantes, les traitements médicamenteux actuels, essentiellement des antipsychotiques, ont une efficacité variable selon les patients. Ils entraînent aussi fréquemment des effets secondaires métaboliques comme une prise de poids, une résistance à l’insuline et une obésité. Des effets indésirables tellement pénibles que de nombreux malades arrêtent leur traitement.
Le régime cétogène, un traitement prometteur
C’est dans ce contexte que l’équipe du Dr Shebani Sethi Dalai, de la Stanford Medicine, a eu l’idée de tester le régime cétogène chez 23 patients adultes atteints de trouble bipolaire ou de schizophrénie. Ce régime très strict consiste à consommer très peu de glucides (5 % des apports caloriques), beaucoup de lipides (80 %) et des protéines (15 %).
L’objectif est de faire entrer l’organisme dans un état de cétose, où il va puiser son énergie dans les graisses au lieu du glucose. Le cerveau va alors utiliser comme carburant alternatif les corps cétoniques produits par le foie à partir des graisses.
“Le régime cétogène s’est avéré efficace contre les crises d’épilepsie résistantes au traitement”, explique le Dr Sethi Dalai. Son équipe a donc voulu vérifier si ce régime pouvait aussi aider les patients psychiatriques, en améliorant à la fois leur santé métabolique et leurs symptômes.
Méthodologie de l’étude
Les 23 participants, qui prenaient tous un traitement pour leur maladie, ont suivi le régime cétogène pendant 4 mois. Au début de l’étude, près d’un tiers (29 %) présentait un syndrome métabolique.
Ce syndrome se définit, selon l’Inserm, par un excès de graisse abdominale associé à au moins deux anomalies parmi : une hyperglycémie, un taux élevé de triglycérides, un faible taux de “bon” cholestérol HDL et une hypertension artérielle.
Des bénéfices spectaculaires sur la santé physique et mentale
Au terme des 4 mois, les résultats se sont avérés spectaculaires. Les participants ont perdu en moyenne 10 % de leur poids et 11 % de leur tour de taille. Toutes les anomalies du syndrome métabolique se sont améliorées.
Mais le plus impressionnant concerne leur santé mentale. Les trois quarts des patients ont vu leurs symptômes psychiatriques diminuer de façon cliniquement significative, avec une amélioration moyenne de 31 %. Ils ont aussi rapporté un meilleur sommeil et une qualité de vie accrue.
“Nous constatons d’énormes changements”, se réjouit le Dr Sethi Dalai. “Nous avons observé plus de bénéfices dans le groupe adhérant pleinement au régime cétogène, comparé au groupe semi-adhérent.”
Un régime qui agit sur plusieurs leviers
Comment expliquer une telle efficacité ? Selon les chercheurs, le régime cétogène agirait via plusieurs mécanismes :
Tout d’abord, le cerveau est un organe qui consomme beaucoup d’énergie, environ 20 % des besoins de l’organisme alors qu’il ne représente que 2 % du poids corporel. En temps normal, il tire son énergie quasi-exclusivement du glucose. Mais en situation de cétose, il va utiliser les corps cétoniques comme carburant alternatif. Ces derniers réduisent l’inflammation et le stress oxydant dans le cerveau, deux processus impliqués dans de nombreuses maladies psychiatriques. Ils favorisent aussi la production de GABA, un neurotransmetteur qui a un effet calmant et régulateur de l’humeur.
D’autre part, le régime cétogène modifie profondément le microbiote intestinal, c’est-à-dire les milliards de micro-organismes qui peuplent notre intestin. Or on sait aujourd’hui qu’il existe un lien étroit entre intestin et cerveau, la fameuse “axe intestin-cerveau”. Un microbiote déséquilibré est associé à un risque accru de dépression, d’anxiété et même de schizophrénie.
Enfin, des travaux récents suggèrent que le régime cétogène stimule la production de BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor), une protéine essentielle à la croissance et à la survie des neurones. Or un déficit en BDNF est retrouvé dans la dépression, les troubles bipolaires et la schizophrénie.
“Tout ce qui améliore la santé métabolique en général va probablement améliorer la santé cérébrale”, résume le Dr Sethi Dalai. Beaucoup de ses patients souffrent à la fois de troubles métaboliques et psychiatriques, d’où son désir de tester des approches capables d’aider sur ces deux fronts.
Vers une révolution des pratiques psychiatriques ?
Si ces résultats très encourageants sont confirmés par de plus larges essais, le régime cétogène pourrait bien révolutionner la prise en charge des maladies psychiatriques sévères. En agissant comme un traitement à double action, il offre un espoir d’améliorer à la fois la santé physique et mentale des patients, là où les médicaments actuels peinent à le faire.
Cette approche nutritionnelle innovante s’inscrit dans un changement de paradigme en psychiatrie. De plus en plus de recherches pointent le rôle crucial de l’alimentation et du microbiote intestinal dans la régulation de l’humeur et des émotions.
Certains n’hésitent plus à parler de “psychiatrie nutritionnelle” pour désigner cette nouvelle discipline à la croisée de la nutrition et de la santé mentale. Son ambition : soigner les maladies psychiatriques en agissant sur l’assiette et le ventre des patients, en complément des approches classiques.
Bien sûr, le régime cétogène n’est pas une panacée et ne peut se concevoir que sous stricte supervision médicale, en raison de ses contraintes et de ses potentiels effets secondaires. Mais il ouvre indéniablement de nouvelles pistes thérapeutiques pour des millions de patients en souffrance, en quête de traitements plus efficaces et mieux tolérés.
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Sources éditoriales et fact-checking