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À moins de découvrir la fontaine de jouvence, existe-t-il des moyens de vivre plus longtemps. Certains pensent que la restriction calorique est une possibilité.
Cette dernière est définie comme la diminution de l’apport calorique sans se priver des nutriments essentiels. De nombreuses études(1) sur les animaux suggèrent que la restriction calorique augmente la durée de vie de nombreuses espèces, mais pas de toutes.
Les observations(2) faites chez les personnes qui limitent volontairement leur apport calorique à long terme corroborent certaines découvertes faites sur les animaux. En effet, les personnes qui réduisent leur apport énergétique semblent avoir les mêmes répercussions physiologiques que les autres animaux, et les facteurs de risque de plusieurs marqueurs de maladie semblent diminuer chez ceux qui restreignent le nombre de calories consommées.
Ceci dit, les études observationnelles ne peuvent que refléter une corrélation, et non un lien de causalité. Des études cliniques contrôlées menées sur le long terme sont nécessaires pour établir un lien de cause à effet.
Le problème est que leur réalisation est très complexe et coûteuse en raison du temps nécessaire pour observer les effets potentiels de la restriction calorique sur la mortalité. Tout cela sans parler du fait qu’il faudrait trouver des personnes qui seraient prêtes et capables de s’inscrire à ce genre de projet !
Un compromis est cependant possible. Un essai clinique randomisé et contrôlé sur une période de quelques mois ou années, qui examinerait les marqueurs des maladies et de la longévité, pourrait nous dire comment la restriction calorique a modifié ces marqueurs. Et si ces marqueurs ont une forte corrélation avec la mortalité, nous serions en mesure de mieux comprendre comment ces habitudes alimentaires peuvent affecter la longévité. Un tel essai nous donnerait également une meilleure idée de la possibilité de maintenir à moyen terme les régimes de restriction calorique, puisque le biais d’autosélection qui peut exister dans les études observationnelles serait réduit.
Malgré la complexité d’une telle étude, une équipe de chercheurs spécialisée dans la longévité s’y est attelée. Voici le décryptage de leur étude(3).
Qui et quoi a-t-il été étudié ?
Des hommes âgés de 20 à 50 ans et des femmes âgées de 20 à 47 ans qui ne souffraient pas d’obésité (c’est-à-dire avec un IMC compris entre 19 et 30) ont été sélectionnés pour cette étude.
La limite d’âge de 47 ans pour les femmes a été choisie pour éviter la ménopause, qui peut être source de confusion.
Les auteurs ont choisi cet âge minimal parce que la taille adulte(4) et le pic de dépôt minéral osseux(5) se produisent tous deux vers l’âge de 20 ans, si bien qu’une restriction calorique au-delà de cet âge n’a plus d’incidence sur la croissance.
La limite supérieure a été choisie sur la base de données animales qui ont révélé une efficacité de la restriction calorique à l’âge adulte pour augmenter la longévité.
Cependant, les chercheurs admettent que les données sur les animaux qui commencent une restriction calorique après 50 % de leur durée de vie moyenne (qui serait l’équivalent pour l’homme de 38 ans) sont “rares et contradictoires”(6).
Toutefois, afin que le nombre de candidats soit suffisant pour l’étude, les chercheurs ont dû augmenter la limite d’âge supérieure.
Par ailleurs, les participants étaient tous en bonne santé et ne fumaient pas. Les personnes très actives physiquement ont aussi été exclues.
Après la sélection des participants, 75 personnes ont été choisies au hasard pour continuer à manger comme avant (le groupe ad libitum ou AL) et 143 personnes ont été choisies au hasard pour faire partie d’un groupe de restriction calorique (RC) pendant deux ans.
L’objectif du groupe de restriction calorique était de réduire l’apport calorique de 25 %. Ce pourcentage a été choisi à la fois parce qu’il a été démontré qu’il affectait la longévité dans les études sur les animaux et parce qu’une étude préliminaire(7) de six mois sur les humains réalisée par plusieurs des mêmes chercheurs a montré que ce niveau de restriction calorique était réalisable.
La durée de l’étude étant de deux ans, les chercheurs n’ont pas pu mesurer directement l’effet de la RC sur la longévité. En revanche, ils ont pu mesurer plusieurs paramètres que l’on associe à la longévité humaine.
Deux paramètres principaux ont été examinés : le taux métabolique au repos (RMR) ajusté en fonction des variations du poids du corps, et la température corporelle. Le RMR a été choisi pour son lien(8) avec l’augmentation du risque de mortalité chez l’homme et parce qu’il est conforme au paradigme du vieillissement et de la longévité appelé “rate of living theory“, qui a prévalu pendant la majeure partie du XXe siècle. Cette théorie a toutefois fait l’objet d’une controverse ; j’y reviendrai plus loin).
Le RMR a été ajusté en fonction du taux de graisse et de masse maigre afin que les changements de poids et de composition corporelle n’affectent pas les résultats. Cet ajustement a été établi de façon à ce que les changements constatés ne soient pas uniquement attribuables à la perte de poids.
L’autre paramètre clé était la température corporelle, autre indicateur(9) ayant un lien avec la durée de vie(10).
Une série de paramètres secondaires ont également été mesurés. Il y avait notamment certains facteurs de risque pour les maladies liées à l’âge et certains troubles psychologiques, l’hormone thyroïdienne T3(11), un acteur majeur du métabolisme, et enfin le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-alpha)(12).
À savoir que la réduction du TNF-alpha(13) pourrait entraîner une augmentation de la longévité, en raison de son impact sur l’inflammation chronique, l’hormone thyroïdienne(14), et son rôle dans le contrôle du taux métabolique.
Le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-alpha) doit son nom à sa capacité à tuer les cellules tumorales chez la souris. Il s’agit d’une protéine qui est libérée par un grand nombre de cellules afin d’activer le système immunitaire.
Il y parvient de plusieurs façons, notamment en déclenchant la fièvre, en aidant à déclencher une “réaction de phase aiguë” qui favorise l’inflammation après un traumatisme et peut aider à combattre les microbes et à les éliminer, ou encore en attirant les globules blancs vers les sites de lésions et d’infections. Comme il “mobilise les cellules” pour effectuer leur fonction et qu’il favorise l’inflammation, on le désigne sous le nom de “cytokine pro-inflammatoire”.
En bref, le TNF-alpha renforce le système immunitaire.
Bien que “renforcer le système immunitaire” puisse sembler être une bonne chose, ce dernier peut être particulièrement redoutable et peut causer de nombreux dommages collatéraux dans l’organisme s’il est trop stimulé. Par exemple, certains des effets de l’infection par la malaria(15) ne sont pas dus au parasite lui-même, mais à la surproduction de TNF-alpha.
Il peut également causer des problèmes dans d’autres maladies importantes, notamment les maladies inflammatoires de l’intestin(16), la maladie d’Alzheimer(17) et la dépression(18). Des taux plus faibles sont généralement liés à la longévité, même si des résultats de recherche divergents ont été obtenus à son sujet(19).
Quels ont été les résultats de cette étude ?
Les résultats de l’étude sont synthétisés sur le schéma ci-dessous.
Examinons tout d’abord dans quelle mesure le régime avec RC était tenable. Le groupe RC a pu réduire considérablement son apport calorique pendant les six premiers mois de l’étude (près de 20 %), mais n’a pas réussi à faire aussi bien pendant les 1,5 années restantes, se maintenant à seulement 10 % de son apport de base. Cela représente une réduction moyenne d’environ 12 % de l’apport calorique pour le groupe RC au cours des deux années étudiées, ce qui est très inférieur à l’objectif fixé de 25 %. Par ailleurs, seuls quatre participants du groupe AD ont abandonné ou ont été retirés de l’étude, alors que 26 participants du groupe RC ont quitté l’étude, ce qui représente une différence statistiquement significative.
Un nombre égal de participantes dans les deux groupes ont été retirées parce qu’elles sont tombées enceintes. Il y a également eu quelques abandons pour des raisons médicales graves, dont aucune ne fut liée à l’étude (en fait, la plupart de ces abandons ont eu lieu dans le groupe AL). Cependant, huit personnes du groupe RC ont temporairement été écartées de l’étude en raison d’un IMC insuffisant (< 18,5), d’une diminution significative de la densité minérale osseuse ou d’une anémie résistante au traitement. Cinq de ces participants ont pu réintégrer l’étude, mais trois ne l’ont pas fait.
Les participants du groupe RC ont par ailleurs perdu du poids, ce qui n’est pas particulièrement surprenant. Ils ont perdu la plupart de leur poids au bout de six mois (environ 9,9 % du poids de départ), puis un peu plus au bout de 12 mois (environ 1,6 %), mais ont repris un peu de poids au bout de 24 mois, terminant l’étude de deux ans avec un poids inférieur de 10,4 % par rapport à leur poids de départ. Environ 75 % de la perte de poids provenait de la graisse, avec cependant une perte de 2 kilos de masse maigre. Toutes ces pertes étaient statistiquement significatives par rapport au groupe AL, qui a également perdu un peu de poids, mais pas autant.
La limitation calorique qui entraîne une perte de poids n’est pas vraiment une nouvelle bouleversante. Mais qu’en est-il des résultats des mesures effectuées au sujet des corrélats possibles pour la longévité ?
Après ajustement en fonction de la masse corporelle, le RMR était statistiquement plus faible dans le groupe RC au bout de 12 mois par rapport au groupe AL. Cependant, aucune différence n’a été constatée entre les deux groupes après 24 mois. La température corporelle n’a pas non plus différé de manière significative entre les deux groupes à aucun moment de l’étude.
En revanche, le TNF-alpha et la T3 étaient tous deux significativement plus faibles dans le groupe RC après 24 mois par rapport au groupe AL. Bien que les deux groupes aient obtenu des valeurs plus faibles à la fin de l’étude, la baisse dans le groupe RC était environ deux fois plus importante que celle observée dans le groupe AL.
D’autres marqueurs métaboliques se sont également améliorés dans le groupe RC. Les triglycérides, le cholestérol LDL, la pression artérielle et la protéine C-réactive ont tous diminué, tandis que le taux de HDL et la glycémie ont été améliorés. Tous ces changements étaient statistiquement significatifs par rapport au groupe AL.
Que nous dit vraiment cette étude ?
Une étude de deux ans ne peut pas nous dire directement si on peut vivre plus longtemps grâce à une quelconque mesure, sauf si la population étudiée présente un taux de mortalité très élevé. Par ailleurs, certains aspects de cette étude rendent encore plus difficile l’extrapolation de ses résultats quant aux impacts réels sur la longévité.
L’un des grands problèmes est l’absence de conséquences concrètes sur les résultats des paramètres principaux. En effet, ni le RMR ni la température corporelle n’ont changé entre le groupe avec restriction calorique et le groupe de contrôle ad libitum à la fin de l’étude. En supposant que ces deux mesures soient directement liées au taux de mortalité (et il y a des doutes qu’elles le soient ; voir la FAQ), ces résultats semblent indiquer que la restriction calorique, du moins à 12 % comme atteint dans cette étude, pourrait ne pas être suffisante pour augmenter la longévité. Il est possible que des restrictions caloriques plus importantes puissent entraîner une réduction de ces paramètres, mais il est impossible d’en être certain.
Malgré ces résultats, cette étude a montré des améliorations significatives concernant de nombreux marqueurs liés à certaines maladies, tels que le taux de cholestérol, les marqueurs d’inflammation et la pression artérielle. Bien que l’amélioration de ces marqueurs puisse contribuer à la longévité, il est important de garder à l’esprit que les chercheurs ont étudié les “améliorations” de taux déjà normaux de ces marqueurs. Rappelez-vous : la population étudiée ici était en bonne santé, non fumeuse et non obèse. Dans l’ensemble, ces personnes sont généralement moins exposées à ces maladies que le reste de la population. Ainsi, s’il est possible que la RC contribue à la longévité de cette population en raison de son impact sur ces marqueurs de maladie, l’impact relatif sur la durée de vie peut être moindre par rapport à une population en moins bonne santé.
Une baisse de l’hormone thyroïdienne a également été observée dans le groupe RC, un phénomène(20) qui a déjà été constaté lors d’essais observationnels chez des personnes qui ont volontairement limité leur apport calorique. Cet effet a également été observé dans des études sur les animaux(21). Comme l’hormone thyroïdienne régule le métabolisme chez l’homme, qui à son tour crée des dérivés réactifs de l’oxygène pouvant endommager les cellules et causer un vieillissement accéléré, il y a lieu de penser qu’une baisse du taux d’hormone thyroïdienne pourrait augmenter la longévité. En effet, plusieurs données empiriques(22)(23) suggèrent qu’une baisse de la fonction thyroïdienne est corrélée à une longévité plus grande chez l’homme, bien que les habituelles mises en garde concernant l’absence de causalité demeurent.
Même si cette étude ne traite pas de manière approfondie la question de l’impact de la RC sur la longévité, elle présente quelques points forts. Tout d’abord, elle a été bien conçue et analysée. Deuxièmement, elle a démontré que la restriction calorique est bel et bien possible au sein de personnes assez motivées ayant un poids normal, étant donné qu’elles étaient prêtes à s’inscrire à un essai de RC assez intensif. En effet, environ la moitié des personnes participant à l’étude avaient un IMC normal. Bien qu’il y ait eu des abandons et que la valeur cible de 25 % pour la RC n’ait pas été atteinte, une restriction calorique significative sur le plan biologique a bien été maintenue pour la plupart pendant toute la durée de l’étude dans le groupe RC. En bref, cette étude est la preuve qu’une RC est possible chez des personnes non obèses.
Cette étude a également permis de démontrer l’innocuité de la RC chez les personnes non obèses. Certains événements indésirables sont survenus, mais ils ont été pris en charge, et de nombreuses personnes (mais pas toutes) qui en ont souffert ont pu réintégrer l’étude. Par chance, les participants étaient suivis par des professionnels de la santé afin que ces effets indésirables puissent être détectés et gérés. Un autre conseil découle de cette étude : un régime hypocalorique de l’ampleur de celui suivi dans cette étude doit être supervisé par un médecin, surtout si vous avez déjà un poids de corps faible ou normal. Il est très facile de penser qu’une perte de poids modérée est bénigne, mais elle pourrait aussi théoriquement masquer la perte de poids résultant de graves problèmes médicaux.
Les principaux événements indésirables survenus dans le cadre de cette étude peuvent servir aux futures études. Les points à surveiller sont : la perte osseuse, l’anémie et la perte de poids excessive. L’étude n’a cependant pas été conçue pour détecter des événements indésirables rares. Elle ne peut pas non plus prendre en compte les événements indésirables pouvant survenir après les deux années de RC. Il y a donc encore beaucoup à apprendre.
Cette étude montre aussi que la restriction calorique, bien que faisable, est assez difficile. Les participants à cette étude étaient sans doute très motivés et ont reçu un certain soutien moral tout au long de l’essai pour maintenir leur réduction calorique. Cependant, l’objectif de réduction de 25% n’a pas été atteint et 18% des participants ont abandonné l’étude.
Par ailleurs, il n’est pas certain que l’amélioration observée des paramètres associés à certains facteurs de risque ait été aussi significative si une restriction calorique de 12 % n’avait pas été maintenue, ou si la durée de la restriction calorique avait été réduite.
Mettons les choses à plat
Cet essai élargit considérablement la base de connaissances sur la restriction calorique chez l’homme. C’est l’essai contrôlé le plus long à ce jour dans lequel les participants, pour la plupart, ont réussi à limiter leurs calories de manière significative. De plus, environ la moitié des participants du groupe RC avaient un poids normal (IMC < 25), et il y a très peu de données provenant d’essais contrôlés sur la restriction calorique chez cette population.
Il est intéressant de noter que certains des résultats de cette étude contredisent les conclusions d’autres études sur les humains, notamment l’étude préliminaire(24) de six mois menée par plusieurs des mêmes chercheurs de cet essai. Les chercheurs avaient constaté que les personnes ayant un IMC compris entre 25 et 30 et ayant réussi à réduire leur apport calorique de 25% avaient à la fois une température corporelle réduite et un taux de dépense énergétique plus faible, alors que cela n’a pas été observé dans la présente étude.
Une étude transversale a également montré que la température était plus basse chez les personnes soumises à une restriction calorique volontaire pendant six ans en moyenne(25). Il est donc possible que le niveau de réduction calorique dans cette étude n’ait pas été suffisant pour observer un tel effet, ou peut-être que ces effets reviennent à la normale sur des périodes plus longues.
Les données observationnelles collectées chez l’homme suggèrent que le RMR est corrélé à la longévité, quelle que soit la corpulence de la personne, mesurée sur la base de l’IMC(26) et de la masse corporelle(27). Les auteurs ont donc pris une décision éclairée en choisissant le RMR comme l’un de leurs principaux paramètres. Pourtant, ces études ne montrent qu’une corrélation, et non une causalité. Il est possible que la survenue d’une maladie entraîne un RMR et une mortalité plus élevés, ce qui pourrait fausser les résultats. Il en va de même pour la température corporelle(28).
La façon idéale de répondre à la question de savoir comment la RC affecte la longévité serait de mener des essais cliniques à long terme qui mesurent la mortalité comme principal paramètre. Cependant, ces essais seraient très délicats à réaliser et aussi très coûteux. Ainsi, la recherche sur la longévité s’appuie souvent sur des modèles animaux pour obtenir des précisions supplémentaires, car leur durée de vie est plus courte et les expériences sont moins coûteuses et plus faciles à réaliser.
Cela dit, les effets de la restriction calorique sur la longévité ne sont pas non plus complètement compris dans les modèles animaux les plus simples. Les expériences sur les rongeurs(29) indiquent qu’une restriction calorique de 10 à 50 % en dessous des niveaux ad libitum produit des augmentations proportionnelles de la durée de vie maximale chez certaines races, et qu’une RC supérieure à 50 % provoque un état de famine et des effets néfastes. Mais même cette règle empirique comporte des exceptions. Des études sur certains animaux ont montré que la restriction calorique n’a pas d’effet(30) ou a même un effet négatif sur la longévité(31).
Du côté des primates, les effets de la RC ont également entraîné des résultats mitigés. Par exemple, une étude(32) sur des macaques rhésus a révélé que la RC n’avait pas d’impact sur la longévité, par rapport à un groupe de contrôle recevant suffisamment de calories pour maintenir leur poids corporel. En revanche, une autre étude(33) sur des singes rhésus a montré qu’un régime avec 30 % de RC augmentait la longévité.
Dans l’ensemble, le tableau des effets de la RC sur la longévité n’est donc pas encore tout à fait explicable : les espèces et les individus au sein d’une même espèce peuvent réagir différemment à la restriction calorique. Cela pourrait aussi être vrai pour les humains, mais les faits ne sont pas encore très clairs. Bien que cette étude contribue largement à améliorer notre compréhension des effets de la restriction calorique sur la longévité chez l’homme, il reste encore beaucoup à apprendre.
FAQ
J’ai dit ci-dessus que des personnes suivant un régime à teneur réduite en calories pendant six ans ont été étudiées. Pourtant, cette étude n’a duré que deux ans. Qu’est-ce qui rend cette étude si particulière ?
L’étude de six ans(34) n’était que transversale, ce qui signifie qu’elle n’a examiné que les personnes qui suivaient un régime de RC volontairement à un moment donné. Ce genre d’étude ne peut pas nous dire grand-chose sur la question de savoir si les régimes avec RC ont entraîné les adaptations qu’ils ont constatées. De nombreuses variables pouvant prêter à confusion peuvent également être à l’origine de ces résultats (le schéma ci-dessous montre quelques-unes des nombreuses variables pouvant avoir un impact majeur sur la durée de vie). L’une des nombreuses explications possibles des résultats pourrait être que ces personnes volontaires étaient très soucieuses de leur santé et avaient une forte volonté, et que ces traits de caractère les ont amenées à adopter des modes de vie sains qui ont conduit aux profils métaboliques que les chercheurs ont observés. Il est donc possible que la RC n’ait pas eu grand-chose à voir avec cela.
Cependant, l’étude actuelle un essai contrôlé et randomisé, qui en dit beaucoup plus que les études transversales ne le pourront jamais.
L’un des principaux paramètres mesurés dans cette étude était le taux métabolique au repos (RMR) ajusté en fonction de la composition corporelle. Pourquoi le RMR est-il lié à la longévité ?
En fait, ce n’est peut-être pas le cas. En tout cas, le RMR est loin de suffire.
L’idée originale vient du physiologiste allemand Max Rubner qui, en 1908, a remarqué que les grands animaux à sang chaud avaient tendance à vivre plus longtemps, et que les grands animaux avaient également un métabolisme plus faible. Cette observation a été reprise et développée par le biologiste américain Raymond Pearl en 1928, qui a alors proposé la théorie de la longévité connue sous le nom de “rate-of-living” : les animaux ne peuvent métaboliser qu’une certaine quantité de choses au cours de leur vie, donc plus vite ils épuisent leur quota métabolique, plus courte sera leur durée de vie. En d’autres termes, les cellules ne peuvent accomplir qu’une certaine quantité de tâches avant de mourir, et si elles accomplissent ces tâches plus rapidement, elles vivront moins longtemps. La quantité minimale de travail qu’un tissu doit effectuer pour survivre est son RMR.
Ce paradigme a été au cœur des recherches sur la longévité pendant une grande partie du 20e siècle. Pourtant, dans les années 1990, des failles ont commencé à apparaître dans la théorie. En 1991, on a découvert(35) que le RMR et la durée de vie des chauves-souris et des marsupiaux contredisaient la théorie du “rate-of-living”. D’autres exceptions à cette théorie ont été constatées tout au long des années 1990 et 2000. Par exemple, il semble que les cellules des petits animaux dépensent en fait plus d’énergie avant de mourir que ceux des grands animaux(36). D’autres travaux ont montré que la théorie du “rate-of-living” ne se vérifie pas au sein des espèces(37). Les souris ayant un métabolisme plus élevé ont tendance à vivre plus longtemps que les souris ayant un métabolisme plus faible. De plus, des variables confusionnelles ont été découvertes chez les animaux et les humains. Par exemple, il a été démontré que la masse graisseuse augmente à la fois le RMR et la mortalité chez les souris(38). Et les données transversales(39) sur l’homme sont au moins cohérentes avec l’idée que les maladies qui surviennent au cours de la vie peuvent à la fois augmenter le RMR et la mortalité, ce qui pourrait encore une fois fausser la relation.
L’hypothèse du “rate-of-living” a encore des raisons d’être défendue. Toutefois, le tableau semble plus compliqué que lorsque la théorie a été émise pour la première fois il y a environ un siècle. Ainsi, le changement de RMR au bout d’un an qui a été observé dans cette étude doit être considéré avec prudence, car nous n’en savons pas assez sur la relation entre RMR et longévité chez l’homme pour affirmer avec certitude que sa diminution entraîne une plus longue durée de vie.
Qu’en est-il de la température corporelle, l’autre paramètre principal de cette étude ? Quel est le lien avec la longévité ?
Au début du XXe siècle, les chercheurs ont constaté que la température du corps était inversement corrélée à la durée de vie des mouches à fruits(40). Ces observations ont été transposées à un certain degré (sans jeu de mots) à une multitude d’autres espèces. Les recherches sont cependant plus complexes chez la souris(41). Malgré cela, une découverte a eu lieu en 2006 lorsque des chercheurs ont pu manipuler directement la température corporelle des souris et ont trouvé un lien de causalité entre une température corporelle plus basse et une longévité plus importante chez les souris(42).
La manipulation directe de la température corporelle ne peut pas être réalisée facilement et de façon éthique pour des études sur l’homme. Cependant, des études observationnelles transversales(43) et longitudinales(44) suggèrent qu’une température corporelle plus basse est corrélée à une longévité plus importante chez l’homme également. Néanmoins, l’étude transversale a également révélé que les femmes ont une température corporelle moyenne plus élevée que les hommes, mais qu’elles ont tendance à vivre plus longtemps. Ainsi, tout comme pour le RMR, la température corporelle est un paramètre loin d’être bien compris pour la longévité.
Quant aux mécanismes possibles de l’influence de la température corporelle sur la longévité, il existe de nombreuses hypothèses(45), mais peu de réponses probantes à ce stade.
Ce qu’il faut retenir
Cette étude a révélé que l’objectif d’un régime alimentaire avec une restriction calorique de 25 % pendant deux ans était peu réalisable chez des personnes en bonne santé et non obèses, et ce, même sous contrôle médical. Les participants n’ont pas réussi à atteindre l’objectif des 25%, et certains ont même abandonné. Cependant, les autres participants ont perdu du poids et amélioré plusieurs marqueurs associés à des maladies courantes, pouvant contribuer à la mortalité.
Les principaux marqueurs de la longévité, le taux métabolique au repos et la température corporelle n’ont pas été modifiés par le régime hypocalorique au terme des deux années d’étude. Par conséquent, il est impossible de savoir si le degré de restriction calorique entrepris dans cette étude pourrait avoir un quelconque effet sur la longévité dans cette population.
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Sources éditoriales et fact-checking