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Après avoir étudié en détail le fonctionnement de l’anaérobie alactique dans un précédent article, il est désormais temps de nous pencher sur l’anaérobie lactique.
Bien que prépondérante dans de nombreux sports, cette filière énergétique n’en reste pas moins très mal comprise et source de nombreuses idées reçues.
L’objectif de cet article sera donc d’effectuer un rappel des principales connaissances relatives à l’anaérobie lactique. Toutefois, il semble important de préciser, avant de débuter, que la compréhension des filières énergétiques s’avère encore aujourd’hui très imparfaite.
De nouvelles découvertes sont faites chaque jour et viennent remettre en cause les dogmes jusqu’alors considérés comme scientifiquement valides.
Au regard de la complexité du sujet d’aujourd’hui, il conviendra donc de prendre de la hauteur et de faire preuve d’une certaine ouverture d’esprit.
Bien que considérées comme objectives par les chercheurs, les données qui vont être présentées par la suite pourraient être remises en cause dans un avenir relativement proche.
Le sujet des lactates, que nous aborderons en détail dans cet article, illustre parfaitement ce phénomène.
Dans la première partie de cet article, nous essayerons donc de faire un récapitulatif complet du fonctionnement théorique de la filière anaérobie lactique.
Après avoir étudié ces mécanismes physiologiques, nous ferons un point sur les méthodes de terrain permettant le développement de cette filière.
Le fonctionnement de la filière anaérobie lactique
La filière anaérobie lactique, également connue sous le nom de glycolyse anaérobie, est l’une des 3 filières permettant la production d’adénosine triphosphate (ATP) nécessaire à la contraction musculaire.
Considérée comme la seconde des 3 filières en termes d’ordre d’intervention, il n’en reste pas moins vrai que ces dernières fonctionnent en simultané au cours d’un exercice physique. Comme le démontre la courbe d’Howald (cf. schéma ci-dessous), seule varie la participation relative des différentes filières à la production d’ATP en fonction du type d’effort (intensité, durée, caractéristiques du milieu, etc.).

Crédit graphique © Docteur-fitness.com
En ce qui concerne la filière anaérobie lactique, sa contribution demeure relativement faible au repos ou lors d’un effort de très faible intensité (ex. : marche rapide).
Cependant, dès les premières secondes d’un effort physique, la glycolyse anaérobie va alors se mettre en route afin de permettre la production d’ATP.
Dès lors, l’anaérobie lactique va utiliser deux substrats énergétiques afin de produire de l’énergie ; le glucose sanguin (glycolyse) ainsi que le glycogène (glycogénolyse).
Rappelons que ce dernier, stocké dans le foie et dans les cellules musculaires, correspond à la forme de stockage du glucose.
Le glucose et le glycogène vont par la suite être dégradés dans le cytoplasme de la cellule musculaire.
C’est la une différence majeure avec le système oxydatif, également appelé aérobie, dont les processus oxydatifs se déroulent à l’intérieur des mitochondries.
L’utilisation de ces substrats permet à la glycolyse de fournir une puissance élevée. On estime qu’en moyenne l’anaérobie lactique exprime sa pleine puissance pour des durées allant de 30 secondes à 1 minute.
En ce qui concerne la capacité, cette filière peut être maintenue entre 2 et 4 minutes selon les auteurs.
Mais quelles sont les réactions physiologiques permettant de produire de l’ATP à partir de la dégradation de composés glucidiques ?
À quel moment intervient la production du fameux acide lactique ayant donné son nom à cette filière ? C’est ce que nous allons voir tout de suite.
Dégradation du glucose et du glycogène en anaérobie
Dans un premier temps, il s’avère nécessaire de différencier d’un point de vue moléculaire le glucose et le glycogène.
Ce dernier est présent sous une forme dite « active » dans l’organisme. Le glucose, quant à lui, a besoin de subir une transformation avant de pouvoir être utilisé en tant que substrat. La molécule de glucose sanguin va donc subir une phosphorylation, c’est-à-dire l’adjonction d’un groupement phosphate, afin d’être présente sous la forme de Glucose-6-Phosphate (G6P). Cette légère transformation explique que la glycogénolyse puisse donner 3 ATP alors que la glycolyse, de son côté, n’en fournit que 2.

Crédit schéma © Hugo Desbouis
Ensuite, une fois le glycogène et le glucose transformés, ces derniers vont alors pouvoir subir une série de réactions enzymatiques (cf. schéma ci-dessous) visant à obtenir du pyruvate comme produit final de la glycolyse anaérobie.
En présence de dioxygène, le pyruvate pénétrera alors dans la mitochondrie sous forme d’acétylcoenzyme A, afin d’alimenter le cycle de Krebs (voie oxydative).
Une partie du pyruvate produit par la filière anaérobie sera également métabolisé sous forme de lactate dans le cytoplasme musculaire en acceptant des protons (H+).
Ce dernier procédé, via l’acceptation de protons H+, s’avère être alcalinisant(1). Une aubaine pour contrecarrer l’effet potentiellement acidifiant du processus anaérobie lactique.

Crédit schéma © Hugo Desbouis
On comprend par conséquent que l’anaérobie lactique ne produit pas d’acide lactique au sens chimique du terme, mais plutôt du lactate.
Rappelons que les termes « acide lactique » et « lactate » désignent deux éléments différents.
Le premier est un acide de formule brute C3H603 (cf. schéma ci-dessous) tandis que le second correspond à sa base conjuguée de formule C3H503–.

Crédit schéma © Docteur-fitness.com
Au regard des formules chimiques ci-dessus, il est donc erroné de parler de l’acide lactique comme le produit de la glycolyse anaérobie.
En effet, si la fermentation d’une mole de glucose produit bel et bien deux moles d’acide lactique, ce dernier est quasiment instantanément dissocié en un proton et un ion lactate(2).
Lors d’un effort intense et de courte durée, la concentration en lactate va ainsi progressivement augmenter au sein du cytosol.
Une partie de ce lactate va alors être envoyée vers les mitochondries ; selon Didier Reiss, « le fonctionnement de la glycolyse (anaérobie) fournit de quoi alimenter une partie des processus qui se déroulent dans les mitochondries (aérobie) ».
L’autre partie du lactate va de son côté être renvoyée dans la circulation sanguine afin de, notamment, alimenter les fibres du myocarde, mais aussi de participer à la néoglucogenèse (cf. cycle de Cori ci-dessous).
Ce processus se déroulant principalement dans le foie permet la resynthèse de glucose à partir de composés non glucidiques tels que le lactate ou certains acides aminés.
Dans le cadre de la néoglucogenèse, 2 molécules de lactate aboutissent schématiquement à la formation d’une molécule de glucose. Didier Reiss, encore lui, parle donc du lactate comme d’un « demi-glucose ».

Crédit Schéma © Docteur-fitness.com
Pour conclure sur le lactate, on pourra citer Cazorla et dire que « Le lactate n’est donc pas le « déchet » et encore moins cette « toxine qui empoisonne le muscle », mais rien de plus qu’un métabolite intermédiaire à fort potentiel énergétique ».
Rappelons également qu’en 1990, Lacour mettait déjà en évidence le lien entre performance anaérobie et concentration importante en lactates sanguins(3).
Enfin, le lactate n’est ni responsable des courbatures musculaires ni des crampes survenant à l’effort(4).
Certains travaux parviennent même à mettre en évidence le rôle potentiellement protecteur des lactates contre la fatigue musculaire(5).
Beaucoup de mythes et de légendes autour d’un composé qui n’a probablement pas encore révélé tous ses secrets…
Comment développer la filière anaérobie lactique ?
Comme nous l’avons vu dans la première partie, la glycolyse anaérobie s’avère être une filière comportant un certain nombre de mythes et d’idées reçues.
Toutefois, elle demeure une filière majoritairement utilisée lors d’efforts courts et intenses.
Intervenant quasiment dès le début de l’effort physique, elle exprime son plein potentiel entre 30 secondes et 2 minutes, bien que certains athlètes arrivent à maintenir ce processus sur des durées plus importantes encore.
À qui s’adresse le travail en anaérobie lactique ?
Dès lors, de nombreuses pratiques sont concernées par l’amélioration des processus relatifs à la filière anaérobie lactique.
Bien que le 400M soit la discipline la plus couramment citée en tant qu’exemple de « sport à dominante lactique », on retrouve également dans cette catégorie le 800m, le 1500m, la natation, le tennis, le judo, la boxe, l’escrime, le kayak ou encore le bodybuilding.
Toutefois, tous les sports en confrontation présentant des variations de rythme et/ou d’intensité sont également susceptibles de faire intervenir la glycolyse anaérobie de manière significative.
Le développement de la filière lactique constitue donc un facteur de performance à part entière dans la plupart des sports collectifs.
Ces derniers sont en effet majoritairement composés de phases d’efforts très brefs et très intenses (contre-attaque, repli défensif, etc.) entrecoupées de périodes de récupérations plus ou moins longues.
De leur côté, les disciplines à dominante énergétique (course à pied, trail, cyclisme sur route, VTT, triathlon, etc.) font également intervenir de manière significative le métabolisme anaérobie lactique ; ces sports sont en effet qualifiés de continus mais « stochastiques« .
Cela signifie que l’intensité de l’effort peut connaître de fortes variations au sein d’une même course.
On retrouve notamment ces variations de rythme en cyclisme sur route ou en course à pied, lorsqu’un ou plusieurs coureurs décident soudainement d’accélérer afin de distancer leurs adversaires.
Ces accélérations, souvent très intenses, augmentent la sollicitation de l’anaérobie lactique dans le processus de renouvellement de l’ATP.
Le recrutement de la filière anaérobie lactique se caractérise ainsi bien souvent par l’augmentation soudaine et significative de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle et de la ventilation.
Mécanismes relatifs au développement de la glycolyse anaérobie
Pour les athlètes pratiquant les sports mentionnés ci-dessus, le développement de la glycolyse anaérobie va s’effectuer via plusieurs mécanismes :
- Augmentation des réserves endogènes de glycogène (foie/muscles) bien que celles-ci ne constituent pas un facteur limitant de l’anaérobie lactique chez le sportif de haut niveau.
- Amélioration de l’activité enzymatique extramitochondriale visant à transformer du glucose/glycogène en pyruvate (phosphofructokinase, hexokinase, glycogène phosphorylase, etc.).
- Amélioration de l’efficacité des systèmes tampons : ces derniers auraient pour rôle de neutraliser l’acidité musculaire produite en excès au cours de la glycolyse anaérobie (provenant probablement des ions H+)
Gardons toutefois à l’esprit que, dans le cadre des sports à dominante énergétique, le développement de la filière lactique ne s’avère pas être un facteur de performance majeur.
Bien que le travail de cette filière puisse être intéressant lors de certaines séances, il ne devra à priori pas revêtir une importance prioritaire au sein de la planification d’un athlète.
Pour les autres sports évoqués ci-dessus (tennis, escrime, natation, athlétisme, judo, etc.), des séances axées spécifiquement sur l’amélioration des processus glycolytiques anaérobie pourront être envisagées de manière plus ou moins fréquente.
Les méthodes de terrain
Comme pour les filières aérobies et alactique, le travail de l’anaérobie lactique pourra mettre l’accent sur la puissance ou sur la capacité du processus.
Rappelons que la puissance d’une filière renvoie à la quantité maximale d’énergie qu’elle peut produire par unité de temps (notion de débit énergétique).
La capacité, quant à elle, fait référence au « réservoir » énergétique de cette filière.
Développement de la puissance lactique
L’objectif du travail de la puissance anaérobie lactique va être de développer le plein potentiel de ce processus au travers d’une augmentation du nombre d’enzymes ainsi que de leur vitesse d’action.
Particulièrement intéressant pour les efforts de type sprints longs (100M en natation, 400M en athlétisme), ce travail mettra l’accent sur la qualité davantage que sur la quantité.
L’athlète devra alors produire un effort extrêmement intense, bien au-dessus de sa vitesse maximale aérobie, sur une durée relativement courte (20-40 secondes environ).
La nature de la récupération dépendra du niveau de sollicitation désirée par l’entraîneur ; une récupération passive permettra à l’athlète de mieux récupérer au niveau nerveux, musculaire et métabolique.
Ce type de récupération mettra par conséquent l’accent sur l’aspect qualitatif de l’entraînement.
Un plus grand nombre de séries/répétitions pourra être effectué, et ce à une intensité maximale. Une récupération active (à 50% de la VMA par exemple) induira, à l’inverse, un niveau de fatigue et de sollicitation plus important sur l’ensemble de la séance.
Cette augmentation de la sollicitation globale se fera cependant au détriment de la qualité d’exécution lors des fractions d’efforts.
Une récupération passive pourrait ainsi s’avérer plus judicieuse dans une optique de développement de la puissance anaérobie lactique. Encore une fois, il reviendra à l’entraîneur le choix d’opter, sur le terrain, en faveur d’une récupération passive ou active.
Cela pourra dépendre d’une multitude de paramètres tels que l’état de ses formes de ses athlètes, la proximité ou non d’une compétition majeure, la température extérieure (refroidissement de l’organisme), etc.
Quoiqu’il en soit, la récupération sera complète avec des durées allant de 5 à 10 minutes (parfois même plus).
Développement de la capacité lactique
Le développement de la capacité anaérobie lactique aura de son côté pour objectif d’améliorer l’activité enzymatique inhibant le fonctionnement de cette filière.
En effet, comme nous l’avons vu précédemment, l’enzyme lactico-déshydrogénase permet de tamponner l’acidité produite par les protons H+ en convertissant le pyruvate en lactate.
Le développement de la capacité anaérobie lactique sera donc intimement lié à l’amélioration de cette activité enzymatique.
Pour ce genre de séances, les durées de récupération seront inférieures à celles observées pour des séances de puissance lactique. En effet, le but sera alors de forcer l’organisme à travailler dans un état de fatigue métabolique.
Pour y parvenir, l’entraîneur pourra allonger légèrement les durées d’effort (de 45 secondes à 1 minute, voir 1 minute 30 secondes), en réduisant si besoin légèrement l’intensité.
La récupération pourra être comprise entre 2 et 4 minutes environ en veillant toutefois à rester sur une récupération de type incomplète.
Compte tenu de l’intensité de l’effort, de sa durée relativement longue ainsi que de la nature incomplète de la récupération, il semblerait plus judicieux d’opter, là encore, pour une récupération passive.
En effet, une récupération active, même très faible, ne permettrait probablement pas à l’athlète de récupérer suffisamment (compte tenu du « faible » temps de récupération) afin de maintenir une intensité de travail suffisante lors des répétitions/séries suivantes.
Ce qu’il faut retenir
En conclusion de cet article, il ne semble pas exagéré de dire que le fonctionnement de la filière anaérobie lactique s’avère assez complexe.
Cette dernière correspond à une succession de réactions enzymatiques permettant de convertir des substrats glucidiques (glucose/glycogène) en pyruvate.
Cette transformation permet d’aboutir à la formation de 2 moles d’ATP pour une mole de glucose (ou 3 pour une mole de glycogène).
Le pyruvate pourra ensuite, en présence suffisante de dioxygène, intégrer le cycle de Krebs (filière oxydative).
En cas de sollicitation importante de la glycolyse, le pyruvate sera également converti en lactate afin de tamponner l’acidité produite par les ions H+.
Bien que le lactate et l’acide lactique soient deux composés relativement proches d’un point de vue chimique, ils n’en restent pas moins différents.
De plus, il est désormais scientifiquement prouvé, et ce depuis plusieurs décennies, que l’acide lactique est instantanément dissocié en un ion lactate et un proton à un pH physiologique.
Que ce soit par « vulgarisation » ou par manque de connaissances, il serait bon d’arrêter de parler de l’acide lactique comme « du produit » responsable de la brûlure musculaire, voir même des courbatures.
Dans un premier temps, car, comme nous l’avons dit, l’acide lactique n’intervient pas dans la glycolyse anaérobie. Deuxièmement, le lactate, sa base conjuguée, possède avant tout un fort potentiel énergétique en tant que « métabolite intermédiaire ».
Bien que de nombreuses choses restent probablement à découvrir en ce qui concerne cette filière et les lactates, souvenons-nous que, déjà en 1990, Jean-René Lacour avait démontré que la performance était corrélée à une forte production de lactates. C’était il y a déjà 30 ans…
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Sources éditoriales et fact-checking