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Un scandale sanitaire d’ampleur secoue actuellement le géant de l’agroalimentaire Nestlé. Selon une note confidentielle de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) remise au ministère de la Santé en octobre 2023 et révélée par Le Monde et Franceinfo le 4 avril 2024, la “qualité sanitaire” des eaux minérales du groupe suisse commercialisées en France n’est pas garantie.
Cette expertise, dont les conclusions sont sans appel, fait suite à une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) déclenchée à l’été 2021 par le signalement d’un lanceur d’alerte, ancien salarié du groupe Alma (Cristaline, Chateldon, St-Yorre…). Près de trois ans plus tard, l’ampleur des manquements et des fraudes est sidérante.
Une contamination généralisée des eaux Nestlé
Le rapport de l’Anses pointe du doigt de multiples non-conformités qui attestent d’un “niveau de confiance insuffisant” pour “garantir la qualité sanitaire des produits finis”, à savoir les eaux minérales naturelles des marques Perrier, Contrex, Vittel ou encore Hépar commercialisées par Nestlé.
Les experts relèvent notamment la présence de contaminants chimiques comme les PFAS, ces polluants éternels, ainsi que des pesticides et leurs produits de dégradation. Mais le plus préoccupant reste sans doute la contamination bactériologique, avec la détection de bactéries Escherichia coli (E. coli), témoins d’une pollution fécale, dans plusieurs sources.
Cette contamination toucherait l’ensemble des sites d’exploitation de Nestlé en France, que ce soit dans la région Grand Est pour les marques Hépar, Vittel et Contrex, ou en Occitanie pour Perrier. Face à ces “multiples constats de contaminations d’origine fécale” et à “la présence chronique notable de micropolluants”, les experts du laboratoire d’hydrologie de Nancy recommandent aux autorités de mettre en place un “plan de surveillance renforcé” des usines Nestlé.
Ils s’inquiètent également de “l’absence de paramètre permettant le suivi de la contamination virale des eaux”. Car pour eux, ces multiples non-conformités “ne devraient pas conduire à la production d’eaux embouteillées”. Un constat qui fait froid dans le dos quand on sait que ces eaux sont consommées quotidiennement par des millions de Français, dont de nombreux nourrissons et femmes enceintes.
Des pratiques frauduleuses à grande échelle
Mais les révélations ne s’arrêtent pas là. Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) remis au gouvernement en juillet 2022, au moins 30 % des marques d’eau en bouteille, dont la totalité de celles exploitées par Nestlé, auraient eu recours à des traitements interdits par la réglementation.
Il s’agit notamment de purifications par ultraviolets (UV), de décontaminations par charbons actifs ou encore de microfiltrations non conformes. Des procédés qui visent à rendre potable une eau impropre à la consommation, en totale contradiction avec le statut d’eau minérale naturelle.
Car rappelons-le, pour pouvoir bénéficier de cette appellation et être commercialisée comme telle, une eau doit être d’origine souterraine, provenir d’une ou plusieurs sources et être naturellement pure, sans aucun traitement chimique. Elle doit aussi être embouteillée à la source dans des conditions d’hygiène irréprochables.
Des critères que les eaux Nestlé sont loin de remplir si l’on en croit les différents rapports. La note de l’Anses juge d’ailleurs insuffisantes les conditions de confiance s’agissant “de la qualité des mélanges mis en place dans les filières de production des différentes EMN [eaux minérales naturelles] en vue de garantir la qualité sanitaire des produits finis”.
L’inertie coupable des autorités et de Nestlé
Face à un tel scandale sanitaire, on pourrait s’attendre à une réaction rapide et ferme des autorités. Il n’en est rien. Comme le dénonce Ingrid Kragl, directrice de l’information chez Foodwatch et experte de la fraude alimentaire, “aucune information n’a été communiquée aux consommateurs ni par Nestlé ni par les autorités”.
Pourtant, la réglementation européenne et française est claire : lorsqu’une eau minérale est polluée, sa mise en bouteille et sa commercialisation doivent être immédiatement suspendues. “Or, ce n’est pas ce qu’il s’est passé”, s’indigne Ingrid Kragl. Pire, Nestlé continuerait aujourd’hui de vendre ses eaux contaminées, en toute impunité.
Contacté par Franceinfo, le groupe se contente de répéter que la qualité de ses eaux est conforme à la réglementation et assure avoir retiré tous les traitements illicites mis en place ces dernières années. Une défense bien maigre au regard de l’ampleur des manquements constatés. Car comme le souligne Ingrid Kragl, “dès la première constatation de pollution de ses sources, Nestlé aurait dû stopper la production et alerter les consommateurs”. Ce qui n’a pas été fait.
Quant au ministère de la Santé, il se retranche derrière l’argument de la justice, refusant tout commentaire au motif que “la justice est saisie du dossier”. Une position attentiste difficilement compréhensible alors que la santé de millions de consommateurs est potentiellement en jeu.
Un nouveau scandale sanitaire
Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’un tel scandale sanitaire se produit. Dans les années 90 déjà, Perrier avait dû retirer de la vente des millions de bouteilles d’eau Perrier contaminée au benzène, un gaz cancérigène.
Il est grand temps que Nestlé prenne ses responsabilités et fasse toute la transparence sur cette affaire. Les consommateurs ont le droit de savoir ce qu’ils boivent et les risques qu’ils encourent. Il en va de la crédibilité du groupe, mais aussi et surtout de la santé publique.
Les autorités doivent elles aussi sortir de leur réserve et prendre les mesures qui s’imposent. Car c’est tout le système de contrôle et de surveillance des eaux embouteillées qui est aujourd’hui remis en cause. Comment a-t-on pu laisser les choses déraper à ce point ? Quelles sont les failles qui ont permis à Nestlé de frauder pendant si longtemps en toute impunité ?