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L’usage thérapeutique du cannabis ne date pas d’hier. Cette plante a même fait partie de notre pharmacopée jusqu’en 1953. Depuis, le cannabis a été classé parmi les substances toxiques. C’est faire peu de cas des milliers d’études scientifiques qui reconnaissent ses vertus. Un tour d’horizon s’impose…
Le 9 janvier 2015, le ministère de la Santé français donnait son accord à la mise sur le marché du premier médicament à base d’extraits de cannabis. Une avancée très attendue ! Le Sativex est aujourd’hui préconisé pour soulager les malades atteints de sclérose en plaques, en atténuant leurs raideurs et leurs douleurs musculaires sévères résistant à toutes les autres médications. Une indication très étroite, mais un premier pas encourageant.
Cependant, les effets thérapeutiques du cannabis vont beaucoup plus loin. Ils sont connus depuis des siècles, utilisés par les sociétés traditionnelles partout dans le monde et confirmés par la science moderne. Alors pourquoi refuse-t-on cette médication naturelle aux innombrables malades qu’elle pourrait soulager ? La question mérite qu’on s’y intéresse…
Une histoire très ancienne
On l’appelle chanvre, cannabis, herbe, marijuana, ganja… Sous ces multiples appellations se cache une seule et même plante : Cannabis sativa L. Aujourd’hui entachée d’une sale réputation, elle renferme pourtant des principes actifs essentiels qui pourraient soulager de nombreux maux. Dans l’Antiquité, elle était déjà consommée pour son action antalgique, digestive, somnifère… Cependant, à la même époque en Chine, son usage médicinal était tempéré. Les autorités régnantes redoutaient le “plaisir” que procurait cette plante, craignant que cela mette à mal leur autorité. On le voit, la dualité du cannabis faisait déjà débat.
En France, cette plante a connu un regain de popularité au début du XIXe siècle. De nombreux poètes, comme Théophile Gautier, Gérard de Nerval ou Charles Baudelaire fréquentaient le “club des haschischins”, dont les soirées enfumées sont vite devenues célèbres. Les poètes y cherchaient l’inspiration dans les volutes de la résine de cannabis. Une initiative qui tourna vite à la gabegie. Le doigt était mis à nouveau sur les contradictions de cette plante, capable à la fois de soigner, voire de guérir, et de faire tourner les têtes.
Les sociétés traditionnelles ont compris depuis longtemps la nécessité d’encadrer la consommation de cannabis, afin de profiter de ses effets thérapeutiques tout en protégeant les plus jeunes et les plus faibles contre les méfaits d’une consommation excessive. C’est pourquoi toutes les traditions entourent cette plante de rituels précis, de conditions strictes et de gestes millénaires.
Petit tour d’horizon des principes actifs
Il a fallu attendre les années 1940 pour que des chercheurs occidentaux se penchent sérieusement sur le contenu de cette plante, à la recherche des composants responsables de ces effets. Une équipe, dirigée par le Prix Nobel de chimie Alexander Todd, a mis au jour la première famille de principes actifs : le cannabidiol (CBD). Ces substances n’ont aucun effet psychotrope, mais elles sont hautement anti-inflammatoires. Un premier bon point pour le cannabis.
Il fallut ensuite attendre les années 1960 pour qu’un médecin israélien de l’université hébraïque de Jérusalem, Raphael Mechoulam, se mette au travail. Sa passion pour cette plante ne s’est jamais démentie. Aujourd’hui, à plus de 85 ans, il continue à publier des articles sur le sujet dans des revues scientifiques de haut niveau. Il en est à plus de 250 publications ! En 1963, il commença par identifier la structure moléculaire du CBD. L’année suivante, il isola d’autres principes actifs, dont le célèbre tétrahydrocannabinol (THC). C’est lui que traquent tous les candidats au voyage intérieur, car le THC agit directement sur le cerveau. Le Pr Mechoulam découvrit ensuite, à l’intérieur même de notre matière grise, des récepteurs spécifiques. Intrigué, il continua à chercher. Jusqu’à ce qu’il découvre que notre organisme produit des substances ayant une structure proche de celle du THC, qu’il nomma endocannabinoïdes. C’est un système entier qui a ainsi été mis au jour, un équipement naturel impliqué dans la douleur, l’inflammation, l’anxiété, les douleurs, les spasmes musculaires, les nausées, le glaucome, l’hypertension artérielle…
Lorsqu’on consomme du cannabis, ses principes actifs viennent ainsi se “ficher” dans des récepteurs habituellement destinés à nos cannabinoïdes naturels. La plante ne fait qu’amplifier un ensemble de réactions biochimiques préexistantes. Au fil des années, les chercheurs du monde entier ont ainsi répertorié plus de 70 principes actifs, répartis en cinq familles dont trois sont prépondérantes : les cannabidiols (CBD), les cannabigérols (CBG) et les cannabinols (dont les THC). Chacune possède sa sphère d’action. Dans la plante entière, celles-ci se complètent et se modulent mutuellement, ce qui n’est pas le cas avec les extraits de plantes, aux effets parfois paradoxaux. Ainsi, le THC devient très anxiogène lorsqu’il n’est pas associé à du CBD. Un point remarquable pour les consommateurs de plante entière !
Des recherches fructueuses
“Le système des endocannabinoïdes joue un rôle dans pratiquement tous les systèmes physiologiques qui ont été observés”, explique le Pr Mechoulam dans une interview. “Il y a dans le cerveau davantage de récepteurs aux cannabinoïdes que n’importe quel autre type de récepteur. On les trouve principalement dans les zones liées à la coordination des mouvements, aux émotions, à la mémoire, à la réduction de la douleur, au système de la récompense et même à la reproduction.” C’est dire si les effets potentiels du cannabis sont variés. S’y ajoute une action clairement repérée sur l’appétit, les nausées et l’inflammation.
Ces découvertes expliquent le mode d’action des médicaments à base d’extraits de cannabis, comme le Sativex. Elles permettent aussi de comprendre pourquoi de nombreux malades sous chimiothérapie (notamment en cas de cancer) voient les effets secondaires de ce traitement extrêmement lourd s’atténuer lorsqu’ils consomment du cannabis : les nausées se calment, les douleurs refluent, le sommeil et l’appétit reviennent… Du coup, la récupération est plus rapide après le traitement.
Au-delà de ces effets connus, d’autres se font jour. Une recherche menée par une équipe de l’université de Vancouver, dans l’État de Washington aux États-Unis, a montré que la présence d’un cannabinol, le THCA (un précurseur acide du THC), réduit le risque d’infection par certains parasites intestinaux. Autre piste prometteuse : le glaucome. Cette pathologie oculaire, en constante augmentation dans les pays occidentaux, est due à des altérations irréversibles du nerf oculaire pouvant conduire à la cécité. Le cannabis est efficace en prévention pour les personnes prédisposées. En Jamaïque, où la consommation de cannabis est beaucoup plus importante que dans les autres pays du globe, le taux de glaucome est exceptionnellement bas. Un médicament à base de cannabis a donc été mis au point, qui a donné d’excellents résultats. Mais pour l’instant, il n’est commercialisé officiellement qu’en Jamaïque.
L’asthme fait également partie des terrains de recherche. Grâce à leur effet anti-inflammatoire, certains cannabinoïdes atténuent l’inflammation des bronches, ce qui diminue la fréquence et l’intensité des spasmes respiratoires responsables de la gêne. Dans ce cas, bien sûr, il n’est pas recommandé de fumer du cannabis. Mais la plante entière peut se consommer de bien d’autres manières. Précisons que les principes actifs sont essentiellement liposolubles, c’est-à-dire solubles dans les matières grasses et non dans l’eau. C’est pourquoi l’infusion de cannabis n’a pas beaucoup d’effet. En revanche, il est possible de réaliser du beurre de cannabis, que l’on peut ensuite utiliser dans des préparations, par exemple des biscuits.
D’autres recherches sont en cours concernant les acouphènes, l’ostéoporose, voire le syndrome de la Tourette, qui provoque des tics physiques et de langage très pénibles. Entre autres…
Et le cancer dans tout ça ?
Reste l’épineuse question du cancer. Le cannabis aurait-il une action directe sur la prolifération des cellules cancéreuses ? Pour l’heure, la communauté scientifique reste très prudente. Cependant, une recherche in vitro donne à réfléchir. Elle a été menée par le Dr Cristina Sánchez, biologiste moléculaire à l’université Complusente de Madrid. Au départ, elle n’entendait pas mener une recherche sur le cancer. Elle étudiait la réaction de cellules mises en présence de substances diverses, dont des cannabinoïdes. Comme la recherche sur les cellules saines était trop onéreuse pour son budget, elle entreprit d’utiliser des cellules cancéreuses qui présentent l’avantage d’être plus simples à observer, car elles se développent en dehors de tout contrôle biologique.
Elle s’aperçut ainsi, par hasard, que les cellules tumorales, confrontées à des cannabinoïdes, “se suicident” spontanément. Elles retrouvent ce programme dont disposent les cellules saines, mais que leurs cousines cancéreuses ont perdu : la capacité à mettre elles-mêmes fin à leur vie lorsqu’elles sont endommagées ou incapables de fonctionner normalement. La première publication du Dr Sánchez date de 1984. Elle y affirme que les cannabinoïdes agissent de cette manière sur les cellules cancéreuses sans affecter la vie des cellules saines. Elle a continué, depuis, à travailler sur ce sujet, mettant notamment en relief une action de la plante sur l’alimentation sanguine des cellules tumorales. Cette piste de recherche est très prometteuse, même si aucune étude clinique in vivo n’est venue confirmer cet effet.
La France encore frileuse
Devant ce catalogue (non exhaustif) d’effets thérapeutiques, on en vient à se demander pourquoi l’usage médical du cannabis est encore interdit en France, contrairement à de nombreux autres pays. La Californie l’autorise depuis 1996, le Canada et la Catalogne depuis 2001, l’Allemagne depuis 2008, Israël depuis 2014… pour ne citer que quelques exemples.
En France, les instances publiques évoquent le caractère dangereux de cette plante. Pourtant, les autorités médicales délivrent bien de la morphine en milieu hospitalier, un produit autrement plus dangereux. Pourquoi le cannabis ne pourrait-il pas être prescrit sur ordonnance et délivré par des établissements étroitement contrôlés ? La réponse tarde à venir…