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Pendant des années, les adeptes du bodybuilding ont préconisé la prise de protéines à digestion lente (caséine) avant le coucher pour prévenir le catabolisme durant le sommeil ; or il existe peu de preuves sur ce sujet. Et bien, les scientifiques ont fini par rattraper leur retard. La présente étude que nous allons décrypter(1) est la troisième étude longitudinale portant sur la consommation de caséine avant de dormir afin d’améliorer la prise de muscle pendant le sommeil. Plus précisément, le but de cette étude était de comparer les effets de la supplémentation en protéine avant de dormir par rapport à la supplémentation en journée sur l’hypertrophie et la force musculaire.
Décryptage de l’étude
Participants et méthodes
Pour cette étude s’étalant sur 10 semaines, treize hommes en bonne santé, âgés de 18 à 25 ans, ont été divisés en deux groupes :
- Nuit – masse corporelle : 71,4 ± 11,1 kg, taille : 170,2 ± 3,8 cm
- Jour – masse corporelle : 79,5 ± 21,5 kg, taille : 178,1 ± 6,5 cm
Tous avaient 1 à 3 ans d’expérience en musculation et avaient une fréquence de 2 à 5 jours d’entraînement par semaine. Il est important de souligner qu’il s’agit d’un petit effectif qui a été réparti en deux groupes, et les auteurs n’ont pas précisé combien de participants sur les 13 étaient dans chaque groupe. Bien qu’un petit nombre de personnes limite la pertinence des résultats, le fait de ne pas connaître la répartition dans chaque groupe rend également difficile la détermination de la véracité statistique des résultats (si il était six dans un groupe et sept dans l’autre, c’est mieux que trois dans un groupe et dix dans l’autre).
Il s’agissait d’une étude à double aveugle avec placebo, dans laquelle les deux groupes prenaient un supplément liquide non étiqueté deux fois par jour (un groupe prenait de la maltodextrine avant le coucher et de la caséine plus tôt dans la journée, l’autre faisait le contraire). Par contre, aucun questionnaire de fin de test n’a été réalisé pour déterminer dans quelle mesure les participants étaient bien en “mode aveugle”. En effet, bien que la caséine et la maltodextrine puissent avoir la même saveur, je pense qu’un participant qui aurait déjà pris de la caséine serait probablement en mesure de faire la différence entre de la caséine et de la maltodextrine en termes de consistance.
Contrôle alimentaire
Des objectifs caloriques ont été établis pour chaque participant à l’aide d’une estimation de leurs besoins énergétiques. La teneur en protéines a été fixée à ~1,8 g/kg par jour, en incluant les compléments, et les calories restantes ont été réparties en 35 % de lipides et 65 % de glucides, soit une répartition en macronutriments de 20 % de protéines, 52 % de glucides, et 28 % de lipides. Le suivi diététique a été supervisé en ligne via MyFitnessPal de façon hebdomadaire. 25 g de protéines de lactosérum étaient consommés par tous les participants après chaque entraînement. Le tableau 1 reprend les valeurs nutritives moyennes des deux groupes.
Protocole d’entraînement
Tous les participants ont suivi un protocole d’entraînement standardisé de quatre jours par semaine pour le haut et le bas du corps, qui consistait en une séance “hypertrophique” et une séance “de force”. Le programme de 10 semaines a été divisé en deux mésocycles de cinq semaines légèrement différents dans la sélection des exercices, basés sur un modèle linéaire périodisé (l’intensité augmente à mesure que les répétitions diminuent). Au cours de la dernière semaine du premier mésocycle, un test de 1RM a été effectué pour déterminer le choix des charges du mésocycle suivant.
Évaluations
Les changements de la composition corporelle ont été évalués par ostéodensitométrie (DXA), et les variations de l’hypertrophie ont été évaluées par échographie. Les 1RM à la presse à cuisses et au développé couché ont été mesurés selon des amplitudes de mouvement standard. La hauteur du saut vertical a été mesurée et un transducteur de position linéaire a été fixé à une ceinture que les participants portaient pour recueillir des données cinétiques pendant les sauts (vitesse, force et puissance). Les courbatures musculaires et l’échelle de Borg ont été mesurées au début et à la fin de chaque séance d’entraînement.
Résultats
Les deux groupes ont obtenu une augmentation de la masse corporelle (attribuable entièrement à une augmentation de la masse maigre) comme en témoignent les mesures échographiques et DXA. Les deux groupes ont augmenté leur 1RM au développé couché et à la presse à cuisses. Il n’y avait aucune différence entre les groupes pour ce qui est de la composition corporelle ou des mesures de force. Les mesures des sauts verticaux présentaient un degré élevé de variabilité et, à l’exception de la force maximale (dont je doute qu’elle reflétât une vraie différence entre les groupes), aucune différence significative entre les groupes n’apparaissait. Sur quelques jours isolés, le niveau d’effort perçu (RPE) était plus faible dans le groupe nuit que dans le groupe jour, mais les moyennes hebdomadaires n’étaient pas significativement différentes d’un groupe à l’autre, et aucune manifestation de courbatures n’a été signalée.
Mes commentaires et interprétations
La stratégie marketing qui consiste à vous faire prendre des protéines pour vous empêcher d’être “catabolique” la nuit est bien connue de tous ceux qui ont vu une publicité de supplément depuis la fin des années 90. Je me souviens il y a plus de 15 ans avoir acheté du cottage cheese (riche en caséine) pour mes repas avant le coucher parce que c’était moins cher que de la poudre de caséine. Et j’avais vraiment l’impression d’avoir trouvé le truc qui me ferait progresser plus vite. Pourtant, jusqu’à récemment, nous ne disposions que de suppositions pour justifier cette pratique.
En 2012, la première étude portant sur les effets de la prise de caséine avant le coucher a été réalisée(2). Les auteurs ont constaté que 40 g de caséine consommés avant de dormir étaient effectivement digérés et absorbés et stimulaient ensuite la synthèse des protéines musculaires pendant la nuit. D’autres études de courte durée ont été menées au cours des quatre ou cinq dernières années, confirmant ce résultat chez des personnes âgées(3)(4).
En plus de ces études de courte durée, la première étude longitudinale(5) sur l’entraînement a été menée en 2015. Les chercheurs ont suivi les gains de force et les gains de masse musculaire dans deux groupes : un groupe recevant un placebo sans protéines et un autre groupe recevant un supplément composé principalement de protéines à digestion lente avant le coucher. La croissance et la force musculaires ont été améliorées dans le groupe supplémenté en protéines par rapport au groupe placebo ; cependant, la quantité quotidienne totale de protéines ne correspondait pas et le groupe recevant des protéines pendant la nuit consommait 1,9 g/kg de protéines au total chaque jour, contre seulement 1,3 g/kg dans le groupe placebo.
Par la suite, en 2017, Antonio et ses collaborateurs ont suivi 26 sportifs hommes et femmes pendant huit semaines, dont la moitié ont reçu 54 g de caséine le matin et l’autre moitié 54 g avant de se coucher(6). Dans cette étude, la quantité de protéines totales était appariée dans les deux groupes à 2,4 g/kg par jour, et aucune différence significative n’a été observée entre ces deux groupes. Cela dit, il n’y a pas eu non plus de changements à l’intérieur des groupes, ce qui signifie qu’ils n’ont pas obtenu de gains mesurables ni en masse musculaire ni en force par rapport aux valeurs de départ. Cela s’explique probablement par le fait que les participants ont gardé leur entraînement habituel, qui était non contrôlé et sans changements apportés par les chercheurs, ce qui a probablement débouché sur un stimuli non progressif ou inapproprié.
La présente étude(7) est la meilleure que nous ayons actuellement pour vérifier si un bolus nocturne de protéines à digestion lente est supérieur ou non à un bolus similaire de protéines consommé à un autre moment de la journée. Dans cette étude, les auteurs ont contrôlé l’apport quotidien total en protéines, ils ont laissé suffisamment de temps pour observer une différence (10 semaines), ils ont contrôlé la consommation de protéines après l’entraînement (fournissant de la whey aux deux groupes après l’entraînement), et ils ont assuré un intervalle adéquat entre la période post-entrainement et le bolus de protéines avant le coucher, le tout en concevant un programme de musculation convenable qui a été standardisé pour tous les participants. La seule lacune était le petit échantillon de personnes. En fait, les auteurs ont dû retirer un certain nombre de participants en raison d’un manque de respect des règles, ramenant leur effectif initial de 20 participants (probablement 10 dans chaque groupe) à 13 au total. Bien qu’il s’agisse ici d’un échantillon dont la taille est peu importante, j’ai tendance à penser que les résultats sont pertinents, car les deux groupes ont connu des changements similaires et les conclusions de cette étude corroborent plus ou moins les résultats publiés par Antonio et ses collaborateurs en 2016(8).
La grande question est : pourquoi cette stratégie n’a-t-elle pas fonctionné ? Ce qu’il faut avoir en tête, c’est que les conditions des études de courtes durées faites en laboratoire ont des résultats qui diffèrent souvent considérablement des études longitudinales (et de la nutrition dans le monde réel).
Cela dit, les études de courte durée sur les protéines pendant la nuit devraient avoir plus de chances de conserver leur applicabilité dans le monde réel que les études sur les effets sur la digestion des protéines au moment de l’entraînement. Pourquoi ? Parce que dans le cas des études nocturnes, les conditions en laboratoire sont assez semblables aux conditions réelles. Par exemple, dans les études de courte durée sur les protéines prise la nuit, les participants arrivent après une journée normale d’alimentation et d’entraînement, ne consomment que des protéines, puis s’endorment (ne mangent rien d’autre pendant toute la durée de leur sommeil). C’est la même chose que dans le monde réel, contrairement à d’autres types d’études sur la distribution des protéines en journée, où de très nombreux paramètres peuvent occasionner une digestion et un rythme d’absorption des acides aminés différent (selon les aliments que l’on mange, les périodes de jeûne plus ou moins longues, etc.).
Alors, que s’est-il passé ici ? Eh bien, je pense que lorsque vous mangez une nouvelle portion de protéines, surtout dans un contexte où vous mangez déjà beaucoup d’aliments, la digestion est plus lente qu’on ne le croit, et c’est ce qui se passe dans le cas d’un surplus calorique. Je ne parle pas seulement de la vitesse des protéines lentes par rapport aux protéines rapides ; je parle des interactions avec les fibres, les graisses, les liquides, les glucides et l’effet global sur la digestion, l’absorption et la distribution des acides aminés aux muscles. Il se peut qu’une gamme d’aliments ait été consommée suffisamment proche pour que les changements dans la libération des acides aminés dans le sang ne soient pas si différents entre les groupes.
Les auteurs ont soulevé un point important concernant la raison pour laquelle aucune différence n’a pas été observée : lorsque vous avez une quantité fixe de protéines et un grand nombre de calories, une grande partie de ces protéines provient de sources “de mauvaise qualité” (faible en leucine). Autrement dit, si vous consommez 35 g de protéines le soir, certains repas n’auront pas nécessairement une teneur en leucine aussi élevée plus tôt dans la journée, car ils seront principalement composés de glucides et de lipides. Ainsi, le groupe de nuit a pu avoir une réponse protéique plus faible dans les repas au début de la journée, qui a été inversée dans le groupe de jour, puisque le bolus de caséine qu’ils consommaient plus tôt dans la journée a fourni une dose supplémentaire constante d’acides aminés qui a bonifié leur repas, entraînant une hausse du pic de la synthèse protéinique à ce moment. Ainsi, en comparant les valeurs maximales et minimales de la synthèse protéique entre les groupes, vous obtenez une aire totale similaire pour les deux groupes, mais à des moments différents.
Cela dit, malgré cette explication sur l’absence de différence observée entre les groupes dans cette étude, je pense que c’est quand même une bonne idée pour les bodybuilders professionnels de répartir approximativement leur apport protéique entre les repas et de faire le nécessaire pour en avoir une quantité légèrement supérieure avant l’heure du coucher. Pourquoi ? Eh bien, je sais que cela semble entrer en conflit avec les données présentées ici, mais cela a tout de même un sens pour moi sur le plan théorique, et n’oubliez pas que cette étude a été effectuée avec un nombre peu important de participants. On le sait : il n’y a pas de solution de stockage des acides aminés pour une utilisation ultérieure de la même manière que nous préservons le glycogène et la graisse. Les acides aminés en excès qui ne sont pas utilisés pour la régénération des tissus sont utilisés comme substrats énergétiques. Donc, du moins en théorie, il est logique de tenir compte de la disponibilité à court terme des acides aminés et de leur effet sur la synthèse nette des protéines musculaires au fil du temps. Il se peut que le temps de digestion, dans la plupart des cas (au moins dans le cas d’un apport énergétique excédentaire et si l’on suit un horaire et une distribution “normale” des repas), “lisse” tellement les courbes que la question des répartitions devient peu importante. Ma recommandation de prendre des protéines avant le coucher est donc essentiellement un conseil basé sur le principe de “juste au cas où” pour ceux qui cherchent à optimiser leur alimentation.
Ceci dit, la consommation de protéines avant d’aller dormir peut-elle être nocive ? Eh bien, certains diront que c’est le cas. En effet, il a été démontré que le fait de consommer de la nourriture la nuit peut avoir un impact négatif sur la qualité du sommeil et le métabolisme, et cela est associé à des compositions corporelles peu flatteuses(9)(10). Cela dit, les résultats détaillés des études existantes révèlent des nuances importantes dont il faut tenir compte avant de jurer de ne rien manger après le dîner. Les effets négatifs des repas pris tard dans la nuit sur la qualité du sommeil (et par la suite sur la composition corporelle et la santé) sont principalement associés à un apport calorique élevé issu d’aliments gras. Néanmoins, de plus petites quantités de calories provenant des glucides et des protéines ne semblent pas avoir le même effet négatif, et certaines études montrent même que les produits laitiers consommés avant le coucher peuvent améliorer la qualité du sommeil(11)(12). Par conséquent, la consommation de 20 à 30 g de protéines (80 à 120 kcal) n’aura probablement aucun effet négatif sur votre composition corporelle ou votre santé, d’après ce que nous savons actuellement(13).
Donc, pour synthétiser, en pratique : il est peu probable que la façon dont vous répartirez votre apport quotidien en protéines au cours d’une journée (du moins lorsqu’il est en surplus) fasse une grande différence.
Une dernière chose : si vous décidez de manger des protéines avant de dormir, vous n’avez pas besoin de consommer de la caséine ou du fromage blanc. La plupart des viandes prennent aussi beaucoup de temps à être digérées. Par exemple, la consommation de 26 g de protéines provenant d’un steak entraîne une augmentation soutenue de la synthèse des protéines musculaires sur une durée d’au moins six heures (la durée totale de la période étudiée)(14).
Ce qu’il faut retenir
Dans le but d’augmenter sa force ou sa prise de masse musculation, il n’est absolument pas nécessaire de prendre un bolus de protéines avant le coucher.
Si vous n’avez pas le choix que de manger tard en fin de journée ou en soirée, limitez les aliments gras, dont la digestion a un effet négatif sur votre sommeil. Mangez donc vos acides gras essentiels le plus tôt possible dans la journée.
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Sources éditoriales et fact-checking