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Les détracteurs des médecines alternatives ont de nombreux arguments dans leur carquois. L’une de leurs flèches favorites est inévitablement “l’effet placebo”, un étendard brandi dès qu’il s’agit de justifier les succès thérapeutiques de l’homéopathie ou de l’acupuncture…
Mais, paradoxalement, ce sont les études cliniques menées par les laboratoires pharmaceutiques qui ont permis de prouver scientifiquement l’existence de cet effet placebo et de mettre en évidence son pouvoir et ses champs d’application.
Les médicaments placebos sont certainement connus depuis l’Antiquité. Entre crédulité et charlatanisme, de nombreux placebos ont été utilisés involontairement au cours de l’histoire de la médecine. Mais d’autres ont été utilisés tout à fait consciemment par les médecins. Ainsi, à la cour de Napoléon III, un médecin prescrivait de l’eau pour soulager l’impuissance sous couvert d’une complexe formule latine. Et que dire des mères qui ont toujours su soigner les blessures des enfants par un bisou salvateur ?
Le médicament le plus étudié de tous
Plus sérieusement, la première étude expérimentale d’un placebo remonte à 1799 : à Londres, un épidémiologiste, le Dr John Haygarth, a utilisé de simples baguettes de bois pour reproduire les effets de baguettes métalliques prétendument thérapeutiques, qui avaient été mises au point par un autre médecin, dénonçant ainsi la supercherie.
Mais lorsqu’il constate, contre toute attente, les bons résultats obtenus avec ses bâtons de bois, il écrit un livre intitulé “De la curieuse influence de l’imagination sur les fonctions du corps humain”. Par la suite, une trentaine d’années plus tard, le célèbre Dr Armand Trousseau a utilisé des pilules placebo (mie de pain) pour prouver l’inactivité, selon lui, des granules homéopathiques.
De nos jours, la plupart des études cliniques visant à mettre de nouveaux médicaments sur le marché (études de phase III) sont “contrôlées par placebo” et en double aveugle (ni le médecin ni le patient ne savent quel produit est administré).
En conséquence, grâce aux études menées par les entreprises pharmaceutiques, le placebo est devenu, paradoxalement, le médicament le plus étudié au monde.
Pourquoi un placebo dans les études cliniques
La médecine occidentale moderne est appelée par les Anglo-Saxons de “evidence-based medicine” (médecine basée sur les preuves). Les preuves en question sont les études précliniques (in vitro et sur les animaux) et les essais cliniques (sur les humains). Or, la médecine est loin d’être une science exacte.
Dans ce contexte, les chercheurs ont sélectionné des modèles expérimentaux aussi objectifs que possible et dont les résultats reflètent les effets observés en pratique. Par exemple, l’usage d’une échelle visuelle analogique de la douleur permet une appréciation correcte des effets des antalgiques.
De plus, afin de rendre ces études aussi fiables que possible, les chercheurs se reposent sur la répétition des tests sur un nombre plus ou moins grand de patients et sur l’analyse statistique des résultats. Il s’agit de calculs mathématiques effectués sur des données chiffrées obtenues dans plusieurs groupes de traitement (glycémie, tension artérielle, score d’appréciation de la douleur, etc.).
Les chercheurs disposent de plusieurs tests selon le type de données à comparer : test de Student, de Mann-Whitney, Anova, etc. Ces tests permettent de déterminer si les différences observées entre les groupes sont “statistiquement significatives”. Dans le cas contraire, il n’est pas possible de conclure.
Il est ainsi possible de procéder à deux types de comparaisons :
- Comparaison entre les paramètres évalués avant et après traitement dans un seul groupe de patients. Ce type de comparaison est le seul réalisé lors des essais dits “non contrôlés”, c’est-à-dire au cours desquels le médicament testé n’est pas comparé à un autre traitement.
- Comparaison entre plusieurs produits (“essais contrôlés”) : les patients participant à l’essai sont répartis en plusieurs groupes, recevant soit le produit testé, soit un produit de référence, soit un placebo. Par exemple, dans un essai concernant un nouvel anti-inflammatoire en gélule, le produit de référence pourra être l’ibuprofène et le placebo une gélule ne contenant que l’excipient. Les données avant et après traitement sont ainsi comparées entre les différents groupes de traitement.
Un traitement placebo n’est pas une absence de traitement
Dans les essais cliniques, les patients sous placebo sont considérés comme un groupe témoin, c’est-à-dire ne recevant pas de traitement.
Le placebo est généralement constitué de produits considérés comme dénués de toute activité pharmacologique : le plus souvent un comprimé ou une gélule neutre (excipient sans principe actif) pour une administration par voie orale, du sérum physiologique pour les formes injectables, etc.
Cependant, l’origine même du terme placebo (en latin, “je plairai”) ne sous-entend pas un rôle passif.
En effet, des décennies de recherche clinique ont permis d’établir que, bien que ne contenant aucun principe actif, un placebo peut entraîner une amélioration “statistiquement significative” d’un certain nombre de symptômes. C’est ce que l’on appelle “l’effet placebo”.
Identifié dès la fin du 18e siècle et peut-être même avant, l’effet placebo a été réellement reconnu en 1955 par les travaux du Dr Henry Knowles Beecher, un anesthésiste qui a publié un article dans le journal de l’association américaine de médecine un article intitulé “Le puissant placebo”, dans lequel il conclut que les placebos ont “un haut degré d’efficacité thérapeutique”.
Pour cela, il s’est appuyé sur ses observations pendant la Seconde Guerre mondiale : lorsqu’il était à court de morphine, il a injecté du sérum physiologique à des soldats blessés après leur opération et a constaté un réel effet thérapeutique dans de nombreux cas.
Il a ensuite répété l’expérience en milieu hospitalier et a estimé l’effet placebo à 35 % (c’est-à-dire que 35 % des patients ressentent une réduction de la douleur après avoir reçu du sérum physiologique) sur plus de 1 000 patients.
Ce que nous apprennent les études cliniques
Il est clair que l’effet placebo s’observe principalement dans les maladies ou symptômes à forte composante émotionnelle et/ou à haut degré de subjectivité : bien-être général, douleurs (notamment rhumatismales), palpitations, migraine, anxiété, dépression, insomnie, impuissance, troubles psychiatriques et neurologiques, mais aussi performances sportives, asthme, rhinite allergique, acné, maladie de Crohn et syndrome du côlon irritable, nausées, toux, troubles urinaires, etc.
Des signes objectifs tels que la pression artérielle et le rythme cardiaque bénéficient dans une certaine mesure de l’effet placebo (chez 19 % des patients selon une étude polonaise publiée en 2012).
D’après les résultats des méta-analyses publiées, pour les symptômes ou affections mentionnés ci-dessus, l’effet placebo varie grossièrement entre 20 et 50 %. Comme l’avait observé Beecher, il est en moyenne de 30 % pour la douleur.
Curieusement, l’efficacité du traitement par placebo peut varier en fonction du mode d’administration. Ce phénomène a été mis en évidence en 2000 par la méta-analyse de 22 essais cliniques sur la migraine(1). L’effet placebo semblait plus élevé dans les études où le traitement était administré à l’hôpital (32,1 % contre 27 % chez les patients traités à domicile).
De même, l’effet placebo était plus important lorsque le placebo était injecté par voie sous-cutanée (32,4 % contre 25,7 % sous forme de comprimés). Haygarth avait donc tout à fait raison lorsqu’il parlait de “la curieuse influence de l’imagination sur les fonctions du corps humain”.
Effet placebo et médecines alternatives
L’effet placebo est avancé par les partisans de la médecine conventionnelle pour contredire l’efficacité d’un certain nombre de médecines alternatives, à commencer bien entendu par l’homéopathie, mais aussi l’acupuncture, les élixirs floraux (de Bach) et les thérapies “holistiques” et énergétiques en général.
En ce qui concerne l’homéopathie, les essais cliniques publiés ont donné des résultats contradictoires : à peu près la moitié des études ont montré une efficacité supérieure à celle du placebo et, dans l’autre moitié, l’efficacité du traitement homéopathique était identique, voire inférieure.
Toutefois, la question à se poser est avant tout la suivante : les modèles expérimentaux et les statistiques mis au point pour tester les médicaments allopathiques sont-ils valables pour évaluer les médecines alternatives, dont le principe est totalement différent, car bien davantage basé sur l’individualité de chaque patient et sur la relation patient-thérapeute.
D’où une autre question : les médecines alternatives ne seraient-elles pas le moyen de potentialiser l’effet placebo, c’est-à-dire les processus d’autoguérison du patient ?
Hypothèses sur les mécanismes d’action impliqués
Selon certains, l’effet placebo est “l’angle mort de la médecine, ou le point aveugle.”
Or le mystère semble en voie d’être levé, car les mécanismes de l’effet placebo ont mobilisé un grand nombre de chercheurs.
Leurs travaux de recherche ont permis de mettre en évidence plusieurs explications possibles. L’activation de neuromédiateurs (dopamine et endorphines) est le mécanisme le plus souvent avancé, mais des processus endocriniens et immunitaires pourraient également être impliqués.
Par ailleurs, une hypothèse plausible évoque l’implication de l’organe voméronasal, récepteur des phéromones, dans le mode d’action des substances dosées en quantités infinitésimales (homéopathie).
Sans parler de la mobilisation de l’énergie vitale, que la science moderne a tant de difficultés à admettre et à objectiver. Nous conclurons par cette citation de chercheurs espagnols en 2003 : “L’effet placebo est présent en pratique et lors des essais cliniques, peu importe le nom que nous choisissons de lui donner”(2).
L’effet nocebo
Lors des essais cliniques, en plus de l’efficacité des médicaments, ses effets secondaires sont généralement évalués. Or il est fréquent que des effets indésirables soient rapportés par les patients traités par le placebo. Il s’agit le plus souvent de symptômes frustres, non spécifiques : maux d’estomac, nausée, mal de tête, constipation.
Cette réaction est appelée “nocebo” (en latin “je nuirai”). L’effet nocebo, assimilé à un stress psychologique, est avancé pour expliquer par exemple les pathologies rapportées à proximité des antennes-relais, faute de justification médicale valable. Certains envoûtements vaudous mettraient en jeu une réaction nocebo poussée à l’extrême.
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Sources éditoriales et fact-checking