Imaginez un instant être privé de votre téléphone portable. Plus de réseaux sociaux, plus de messagerie instantanée, plus d’accès à vos applications favorites. Cette simple pensée suffit à générer un profond sentiment d’anxiété chez de nombreuses personnes. Bienvenue dans le monde de la nomophobie, la peur panique d’être séparé de son smartphone.
Avec la place prépondérante qu’occupent désormais les téléphones mobiles dans nos vies, ce trouble psychologique touche une part croissante de la population mondiale, en particulier chez les jeunes générations ultra-connectées. Les conséquences sur la santé mentale et physique sont bien réelles : crises d’angoisse, dépression, troubles du sommeil, douleurs cervicales… La nomophobie est devenue un véritable fléau des temps modernes.
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Qu’est-ce que la nomophobie ?
Le terme « nomophobie » est apparu pour la première fois en 2008 dans une étude menée par l’organisation britannique YouGov. Contraction de « no mobile phone phobia », il désigne la peur irrationnelle de se retrouver sans son téléphone portable. Plus qu’une simple addiction au smartphone, la nomophobie s’apparente à un trouble anxieux.
Les personnes qui en souffrent ressentent une véritable panique à l’idée d’être déconnectées, de ne plus pouvoir communiquer avec leurs proches ou accéder à leurs réseaux sociaux. Le téléphone est perçu comme un cordon ombilical digital les reliant au monde extérieur. S’en séparer, ne serait-ce que quelques heures, devient une épreuve insurmontable générant un profond sentiment d’insécurité.
Même si elle n’est pas encore reconnue officiellement comme une pathologie mentale par l’Organisation Mondiale de la Santé, la nomophobie gagne du terrain. Selon une étude datant de 2019, près de 50 % des adolescents présenteraient des symptômes de ce trouble(1). La crise sanitaire du Covid-19 et les confinements successifs n’ont fait qu’aggraver le phénomène en renforçant notre dépendance aux écrans.
Causes et facteurs de risque
Plusieurs facteurs psychologiques et sociaux peuvent favoriser l’apparition de la nomophobie :
- Une faible estime de soi : les personnes manquant de confiance en elles ont tendance à utiliser leur smartphone comme un moyen de validation sociale. Chaque like ou commentaire sur les réseaux sociaux agit comme une dose de dopamine renforçant le comportement addictif.
- La dépendance à la technologie : l’utilisation permanente et excessive des smartphones peut provoquer une dépendance, et il est alors difficile de s’en détacher ;
- Un besoin constant d’être connecté : la peur de manquer une information importante (FOMO ou Fear Of Missing Out) maintient les nomophobes dans un état de vigilance permanente. Le téléphone doit rester allumé 24h/24 pour ne rien rater.
- Des traits de personnalité anxieux : les individus émotionnellement instables, perfectionnistes ou ayant peur du rejet sont plus enclins à développer une dépendance au mobile. Le smartphone agit alors comme une béquille émotionnelle.
- L’âge : les adolescents et jeunes adultes (14-24 ans), qui ont grandi avec un téléphone à la main, sont les plus touchés. Leur immaturité cérébrale les rend plus vulnérables aux effets addictifs des écrans.
- La pression sociale et professionnelle : la nécessité d’être connecté en permanence pour des considérations sociales ou des raisons professionnelles peut contribuer à cette peur de ne pas avoir son téléphone à portée de main.
- Des relations sociales pauvres : paradoxalement, les interactions virtuelles tendent à appauvrir les liens réels. Les nomophobes privilégient les échanges digitaux au détriment du contact humain, renforçant leur isolement.

Symptômes et conséquences
La nomophobie se manifeste par une série de symptômes physiques et psychologiques :
- Anxiété, attaques de panique, sentiment de manque quand le téléphone n’est pas à portée de main ;
- Vérifications compulsives du mobile (jusqu’à toutes les 5 minutes) ;
- Utilisation du smartphone dans des situations inappropriées (au volant, pendant les cours…) ;
- Troubles du sommeil, le téléphone restant allumé la nuit ;
- Manifestations physiques telles que des tremblements, des palpitations, des sueurs lorsque le téléphone n’est pas disponible ;
- Douleurs au poignet, au cou, maux de tête liés à une utilisation excessive ;
- Altération de la concentration et des performances scolaires/professionnelles ;
- Repli sur soi, désintérêt pour les activités non digitales ;
- Sentiment de culpabilité et de honte face à son addiction.
À long terme, la nomophobie peut avoir des conséquences délétères sur la santé mentale et les relations sociales. Une étude a montré que les étudiants nomophobes présentaient des niveaux plus élevés de dépression, d’anxiété et de stress que les autres(2). Leur capacité à nouer des relations authentiques est altérée, les rendant plus vulnérables à l’isolement.
Sur le plan physique, l’usage compulsif du smartphone favorise la sédentarité et les troubles musculo-squelettiques (lombalgie, cervicalgie…). Sans compter les risques d’accident liés à l’utilisation du téléphone en conduisant ou en marchant, source croissante de mortalité chez les jeunes.
Diagnostic
Il n’existe pas encore de critères diagnostiques officiels de la nomophobie, celle-ci n’étant pas incluse dans le DSM-5 (manuel de référence des troubles mentaux). Cependant, plusieurs outils ont été développés par les chercheurs pour évaluer la sévérité de la dépendance au smartphone.
Le plus utilisé est le questionnaire NMP-Q (Nomophobia Questionnaire), qui comprend 20 questions évaluant différentes dimensions de la peur d’être sans mobile(3).
Le score obtenu permet de classer les utilisateurs en 4 niveaux de nomophobie : absente, légère, modérée ou sévère. Un résultat élevé signe une dépendance problématique nécessitant une prise en charge.
En pratique, le diagnostic repose surtout sur un entretien clinique visant à évaluer le retentissement de l’usage du mobile sur le fonctionnement de la personne. Des échelles d’anxiété et de dépression peuvent être utilisées en complément. L’objectif est d’éliminer d’autres troubles psychiatriques pouvant se manifester de façon similaire (trouble panique, phobie sociale…).
Prévention
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Face à l’ampleur croissante du phénomène, des campagnes de prévention ont vu le jour pour sensibiliser le grand public aux dangers d’une utilisation excessive du smartphone. L’une des plus connues est la journée mondiale sans mobile, qui invite chaque année les utilisateurs à se déconnecter pendant 24h.
Au niveau individuel, quelques règles d’hygiène digitale permettent de garder le contrôle sur son usage du téléphone :
- Désactiver les notifications non essentielles ;
- Définir des plages horaires sans écran (repas, coucher…) ;
- Ne pas dormir avec son téléphone allumé dans la chambre ;
- Se fixer des limites d’utilisation quotidiennes ;
- Favoriser les activités et interactions « réelles » (sport, sorties entre amis…).
L’idée est d’utiliser son smartphone comme un outil au service de ses besoins, et non l’inverse. Cela demande de la discipline, mais permet de retrouver une relation plus saine et équilibrée avec la technologie.
Pour les parents, il est essentiel d’encadrer précocement l’usage des écrans chez l’enfant en fixant des règles claires. L’exemple parental est primordial : difficile de limiter le temps de smartphone de son ado quand on passe soi-même sa vie scotché à son écran. Un récent rapport de l’Académie Américaine de Pédiatrie recommande de ne pas dépasser 1h d’écran récréatif par jour avant 5 ans, et pas plus de 2h chez les plus grands.
Traitement
Quand la nomophobie devient invalidante, une prise en charge spécialisée peut être nécessaire. Plusieurs approches thérapeutiques ont montré leur efficacité :
- Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) : elles visent à modifier les pensées et comportements problématiques liés au smartphone. Le thérapeute aide le patient à prendre conscience de son usage excessif, à identifier les situations à risque et à mettre en place des stratégies pour y faire face. Des exercices d’exposition progressive (se passer du téléphone pendant des périodes de plus en plus longues) permettent de désensibiliser progressivement la peur.
- Les groupes de parole : sur le modèle des Alcooliques Anonymes, ils réunissent des personnes souffrant de nomophobie pour partager leur expérience et s’entraider. Le soutien des pairs est un puissant levier de changement.
- Les applications de contrôle du temps d’écran : elles permettent de suivre précisément son usage du smartphone et de se fixer des limites. Certaines bloquent même l’accès au téléphone une fois le temps imparti dépassé.
- Les retraites digitales : de plus en plus populaires, ces séjours de « désintoxication numérique » proposent de se couper totalement des écrans pendant quelques jours, dans un cadre propice à la reconnexion avec soi et la nature. Une expérience souvent transformatrice.
Dans les cas les plus sévères, un traitement médicamenteux de l’anxiété ou de la dépression associées peut être proposé transitoirement, toujours en complément d’une psychothérapie.
L’objectif n’est pas de diaboliser le smartphone, qui reste un formidable outil lorsqu’il est bien utilisé, mais d’aider les personnes nomophobes à retrouver une relation équilibrée et sereine avec leur téléphone. Un travail sur l’estime de soi et les compétences relationnelles est souvent nécessaire en parallèle.
Le mot de la fin
La nomophobie est le reflet des profondes mutations induites par la révolution numérique sur nos modes de vie et de pensée. En l’espace de quelques années, le smartphone s’est imposé comme un prolongement indispensable de nous-mêmes, au point de générer une véritable peur panique d’en être séparé.
Si ce trouble reste encore méconnu du grand public, il est urgent d’en prendre la mesure. Derrière l’apparente facilité apportée par la technologie se cache un risque bien réel d’aliénation et de perte de contact avec le monde réel. En nous coupant des autres et de nos émotions, la nomophobie nous éloigne de l’essentiel.
Alors, osons relever le défi d’une reconnexion authentique à soi et aux autres. Réapprenons à nous ennuyer, à rêver, à apprécier les petits plaisirs du quotidien sans avoir besoin de les partager instantanément sur les réseaux sociaux.
Sources éditoriales et fact-checking